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CollectifHamlet: Cinquième Acte

5.1

Fragment 22

Le premier fossoyeur est assis à côté d’une pelle, les deux pieds pendants dans la tombe qu’il vient de creuser. Le deuxième fossoyeur entre, une pelle à la main, s’assoit à côté du premier fossoyeur.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Déjà fini ? (Silence.) T’as pelleté ça tout seul à main ?

PREMIER FOSSOYEUR: avec sarcasme Ben oui, c’est plate hen.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Pourquoi t’as pas pris la grue ?

PREMIER FOSSOYEUR: Parce qu’ils ont demandé de pas « ébruiter » ça.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Pis?

PREMIER FOSSOYEUR: Ben, la grue, ça fait du bruit.

Silence.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: C’est pour qui ?

PREMIER FOSSOYEUR: Je t’ai dit qui fallait pas « ébruiter ».

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ouin. (Silence.) T’as yinque à me le chuchoter.

PREMIER FOSSOYEUR: Correct. (Il se penche et murmure.) C’est la petite riche qui s’est noyée dans rivière.

Silence.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ouin. Pis?

PREMIER FOSSOYEUR: Ils voulaient pas que le monde le sache.

Silence.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Pourquoi?

PREMIER FOSSOYEUR: Ben, parce que l’eau a pas sauté jusqu’à elle.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ben tiens, je le sais, c’est le monde qui saute dans l’eau.

PREMIER FOSSOYEUR: Ben oui.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ben oui. (Silence, il comprend et hausse le ton par étonnement.) Ah ouin! La petite riche qui s’est noyée dans rivière!

PREMIER FOSSOYEUR: Chut! Viarge! Tais-toi donc!

Silence. HAMLET entre suivi d’HORATIO. Ils restent en retrait. Les fossoyeurs ignorent leur présence.

DEUXIÈME FOSSYEUR: Ah ouin, j’ai mon voyage. Pis elle va être dans le cimetière ?

PREMIER FOSSOYEUR: Oui monsieur.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ça, c’est vraiment pas catholique.

PREMIER FOSSOYEUR: Le monde de même, c’est jamais correct.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Crée ben, pis c’est d’autant pire parce qui paraît même qu’était enceinte.

PREMIER FOSSOYEUR: D’où tu tiens ça ?

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ma femme le sait.

PREMIER FOSSOYEUR: Comment ça ?

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Les femmes, y savent ces choses-là. Pis attends que la mienne apprenne que la p’tite est passé d’l’autre bord!

PREMIER FOSSOYEUR: Ça la regarde pas.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ce qui se passe dans mon cimetière me regarde, ce qui me regarde, regarde ma femme.

PREMIER FOSSOYEUR: Si c’est le cimetière de quelqu’un, c’est certainement pas le tien.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ah ben, tu m’ostinerais tu?

Les fossoyeurs continuent de s’entretenir au sujet de l’appartenance du cimetière. La discussion devient de plus en plus animée.

HAMLET: Look at them Horatio, ignorants, inconscients, buvant autour de leurs pelles, à se disputer une terre n’appartenant qu’à ceux qui y reposent.

HORATIO: Understand Hamlet, à côtoyer tous les jours les morts, ils n’ont plus la…

HAMLET: énervé par les propos d’Horatio, il s’emporte Creuser des tombes ce n’est pas fréquenter les morts. Est-ce qu’ils leur parlent? Ses hommes vont-ils mourir ? Sont-ils déjà morts ? Auront-ils à tuer ? Ils n’ont l’air tourmenté d’aucune manière, Horatio. No fear, no death, just daily routine and salvation. Not a fucking to be or not to be problem! Rest in Peace, mon cul! Ils se rendent pas compte… (Silence) Destinés à la poussière, voilà ce qu’ils sont, ce que nous sommes. À savoir ce qui suit la tombe… pauvre moi.

HORATIO: (hésitant)Maybe you want to talk / about it ?

HAMLET: No. (Interpellant les fossoyeurs.) Messieurs, à qui appartient cette tombe ?

PREMIER FOSSOYEUR et DEUXIÈME FOSSOYEUR: (se tournant vers Hamlet) Ben si c’est pour être à quelqu’un, c’est à moi.

HAMLET: Qui y sera enterré ?

PREMIER FOSSOYEUR et DEUXIÈME FOSSOYEUR: (pointant l’autre du doigt) Lui.

PREMIER FOSSOYEUR: (au deuxième fossoyeur) Ça va faire. Cette tombe-là, c’est moi qui l’a creusée, est à moi. (À Hamlet) Qu’est-ce que vous voulez, vous?

HAMLET: Savoir à quel homme est destinée cette fosse.

PREMIER FOSSOYEUR: Elle est pas « destinée » à un homme.

HAMLET: À une femme?

PREMIER FOSSOYEUR: À un mort. Pis mêlez-vous de vos affaires.

Il ramasse sa pelle et se dirige vers la sortie.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Où c’est que tu vas là?

PREMIER FOSSOYEUR: Creuser une tombe, qu’est-ce t’en penses ?

DEUXIÈME FOSSOYER: Un autre?

PREMIER FOSSOYEUR: C’t’une grosse journée.

Il sort, laissant seuls le deuxième fossoyeur avec Hamlet et Horatio.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: (à Hamlet et Horatio) Encore-là vous autres ? Qu’est-ce que vous voulez tant savoir.

HAMLET: What I want to know ? (Silence) Dites-moi, combien de temps..

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Que je suis fossoyeur ? J’ai commencé qu’en j’avais 15 ans, c’est parce que mon père…

HAMLET: Non, combien, combien de temps un corps reste identifiable après la mort ?

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ah, c’est yinque ça que vous voulez savoir ? Avec ou sans la fiche dentaire ?

HAMLET: (surpris) Sans.

DEUXIÈME FOSSOYEUR: Ben, ça dépend de ben des affaires. Moi, j’ai toujours dit que ça dépendait du nombre de temps que le mort est exposé au salon. Après, ben c’t’une question de cercueil pis d’bibittes. Remarque ben, si la personne est morte noyée, a va être bleue pis toute enflée. Vous la reconnaîtriez pas même fraîche pêchée. Mais si est partie ben tranquille, en dedans de deux mois on peut facilement savoir à qui on a affaire. Reste qui faut voir avec la grosseur de la personne. ( Il prend un crâne fraichement déterré par le premier fossoyeur.) Voyez, lui y’était pas pire gros.

Fragment 23

DEUXIÈME FOSSOYEUR Y’a été enterré y’a 12 ans, le jour où Fortinbrass, le vieux pas le jeune, y’est mort à cause de Hamlet, pas le jeune, le vieux, le père du fou là.

HAMLET Le fou?

DEUXIÈME FOSSOYEUR Ben, oui, j’ai pris ça à radio. C’t’étrange ça, devenir fou.

HAMLET Très étrange.

DEUXIÈME FOSSOYEUR Si vous voulez mon avis la raison c’est le Danemark. C’est pour ça qu’il est parti en Angleterre.

HAMLET En Angleterre? Pourquoi?

DEUXIÈME FOSSOYEUR Un fou avec un autre fou, y voit pas que l’autre y’est fou. Pis vu que les anglais sont toutes des fous…

Le Fossoyeur tend le crâne à Hamlet. Hamlet le prend.

HAMLET : À qui est ce crâne?

FOSOYEUR 2 : Ce crâne, mon cher monsieur, c’est celui de queckun de ben connu. On l’voyait tout le temps vers la fin de la journée dire des niaiseries à la TV. Chu pas peu fier de l’avoir dans mon trou, surtout qu’y’animait l’émission Le cimetière du fun à Télé-Royale. C’tait quoi son nom déjà?

HAMLET : Yorick.

FOSSOYEUR 2 : C’est ça Loïc…

HAMLET : Pauvre Yorick. Horatio, tu te souviens, quand on rentrait de l’école, on s’assoyait devant la télé pour son émission. Religieusement, pendant 12 ans, on a écouté son programme, jusqu’à temps qu’il meurt, étouffé dans un costume de chameau. Un phare dans ma jeunesse. Tu te souviens, il finissait toujours son émission de la même façon :
HORATIO et HAMLET : À demain les p’tits vauriens et tâchez de pas mourir!
(Ils rient.)
FOSSOYEUR 2 : En tout cas, moi je l’ai jamais aimé c’te bouffon là. Toujours à faire des pirouettes pis des niaiseries.
(Temps)
Si j’aurais été dans c’te poste de TV là, je peux tu te dire qu’y aurait jamais été là.
(Temps)
En tout cas, bonne soirée les boys!
(Il sort.)

HAMLET : Ça n’aura jamais été plus vrai qu’aujourd’hui. Un jour t’es là, et t’es incapable de dire si tu vas encore être en vie le lendemain. Et tu laisse quoi au bout de tout ça, un souvenir, une image, presque rien.

HORATIO : Quand même, ils sortent un DVD. (Moue désabusée d’Hamlet.) Personne n’échappe au temps. On finit tous par mourir. On vit bien ou mal, on meurt bien ou mal. Les deux c’est pareil. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait là, maintenant.

(Entrent Claudius, la reine, Laertes, un prêtre et des lords. On transporte un cercueil.)

LAERTES : Rien de plus? Que des rites bâclés à la lueur d’une chandelle? Les cloches de l’église n’ont même pas sonné.

HAMLET : Un cortège funèbre. Horatio, caches toi.

(Horatio et Hamlet se cachent)

PRÊTRE : Si c’était juste de moi, je l’aurais même pas enterré. Vous me réveillez, à 10h00 du soir, pour des funérailles dont vous voulez pas que je fasse mention nulle part, vous me forcez à les faire malgré les lois de l’église, et je suis supposé faire comme si de rien était! Ah, mais c’est pas pareil, elle est proche de la famille royale, elle a donc tous les droits et tous les privilèges, même si elle est morte scandaleusement et qu’elle ne vient plus à l’église depuis sa première communion! Eh bien non monsieur. This is what I give you, this is what you gonna take! Je ne suis pas une connexion sans fil illimitée avec le Seigneur. Y’a une religion derrière la soutane, des règles, un code de conduite. Vous les méprisez, vous les transgressez et vous forcez les autres à le faire. Poussez-pas votre luck!

LAERTES : Ma soeur sera un ange pendant que vous brûlerai en enfer.

PRÊTRE : Félicitation pour la subtilité de l’image.

HAMLET : Ophélie…?

(Le prêtre récite le Je vous salue Marie en Latin d’un ton lent et monocorde.) Ave, Maria gratia plena : Dominus tecum ; benedícta tu in muliéribus ; et benedíctus fructus ventris tui, Jesus. Sancta Maria, Mater Dei, ora pro nobis peccatóribus, nunc et in hora mortis nostræ. Amen

Le cercueil est mis en terre. Pendant les prochaines répliques, Hamlet sort tranquillement de sa cachette et s’avance vers Laertes.

GERTRUDE : C’est indécent de porter en terre une femme aussi jeune. C’est nous qui devrions être là, pas elle. Le Danemark sent la mort.

GERTRUDE : En quelques mois, j’ai porté à leur tombe un père, sa fille et mon propre mari.



CLAUDIUS : Gertrude…
 
 
CLAUDIUS : N’en reste qu’un.

GERTRUDE: Quoi? (Elle n’a pas compris ce que Claudius a dit. Elle le regarde. Après un temps.) Votre couronne est sale. Vous la ferez astiquer.

(Ils aperçoivent Hamlet et se taisent. Laertes relève la tête, le voit aussi. La bataille éclate. Le prêtre en profite pour s’éclipser. Le spectre d’Ophélie apparaîtra en arrière scène. Seule Gertrude peut la voir.)

LAERTES : Crève en enfer, chien!

LAERTES : Meurtrier! Scélérat!

LAERTES : Tu es une malédiction sur ma famille, tu es un membre infecté qu’il faut amputer. Ferme là! Ferme là. Je ne veux pas entendre. Je ne veux plus voir.

LAERTES : Tu veux ma perte! Je te ferai regretter de ne pas être resté en Angleterre.


HAMLET : Le chat peut bien miauler le chien aura son heure.


HAMLET : J’ai aimé Ophélie d’un amour qui dépasse celui de 20 frères. Nous portons le même deuil.

HAMLET : Je n’ai jamais voulu ton malheur, ta peine est la mienne.

HAMLET Ils veulent la mienne.

HAMLET : Lâches moi! Il y a en moi quelque chose de dangereux.

(Le spectre d’Ophélie est apparu en arrière scène. Seule Gertrude peut la voir.)

CLAUDIUS : Laertes laissez le seigneur Hamlet. LAERTES!

CLAUDIUS : Il est impensable que de jeunes gens de votre rang se conduisent ainsi. Vous n’êtes pas des animaux.
CLAUDIUS : Si vous voulez livrer bataille c’est par une joute d’escrime qu’il faut le faire.
CLAUDIUS : QU’on aille chercher les rapières.
CLAUDIUS : Et des rafraîchissements!
LAERTES : Jamais plus que maintenant


LAERTES : Ni moi de la tienne!
CLAUDIUS : Laertes, rappelez vous de notre plan.

CLAUDIUS : Voici le poison pour la lame.
 
 
LAERTES : Mon bras ne faiblira pas.

CLAUDIUS : Restez sur vos gardes.
LAERTES : Je suis prêt.
CLAUDIUS : Que cette coupe aille au vainqueur!


HAMLET : Tu ne peux pas comprendre.



HORATIO : Hamlet, refuse.


HAMLET : Tu veux te battre Laertes?


HAMLET: Je n’ai pas peur de ta lame.



HORATIO : C’est un piège.
 
 
HAMLET : Je suis le roi de l’escrime à défaut d’être celui du Danemark.
HORATIO: Recule!
HAMLET : Mon bras ne faiblira pas.
HORATIO : Le Danemark sent la mort.
HAMLET : Je suis prêt.




OPHÉLIE : Je suis une mouette, non, ce n’est pas ça.

GERTRUDE : Une joute d’escrime?



OPHÉLIE : Le Danemark sent la mort.
GERTRUDE : Depuis trop longtemps.



OPHÉLIE : Restez sur vos gardes.
GERTRUDE : Je suis prête.

 
OPHÉLIE : ACTION!

5.2

Fragment 25

On apporte à Hamlet et à Laertes une épée. Celle de Laertes est empoisonnée. Tout au long de cette scène Laertes jette des coups d’épée dans le vide tandis qu’Hamlet tourne en rond en sens inverse des aiguilles d’une montre, il semble réfléchir. Le roi verse un verre de vin et y ajoute un petit quelque chose qui ressemble à une perle ou à un comprimé. Il le tend à Hamlet, question de porter un toast avant le début du combat.

HAMLET (À Claudius.) Le roi est mort, vive le roi.

TÉMOINS Vive le roi!

GERTRUDE Claudius ! ( Les deux répliques doivent se suivre de très proche.)

(Elle s’avance vers Hamlet en maugréant le mot «serpent». Elle lui prend le verre, le boit et lance le verre dans la tombe d’Ophélie en disant Oups!)

( À cet instant Laertes cesse de donner des coups d’épée dans le vide et Hamlet se stabilise face à lui. Ils se blessent mortellement l’un l’autre. La reine vomit.)

CLAUDIUS Gertrude!

(Hamlet court voir sa mère comme ivre.)

GERTRUDE Vers! Vers de terre! Serpent!

(La reine meurt. Elle se relève tout de suite, alors que seul Hamlet peut la voir ainsi. Elle retire sa couronne et sa belle robe. Elle parle ensuite de manière inaudible à Hamlet.)

HAMLET Serpent! Meurtrier! Bois ton venin roi pourri, meurs!

(Hamlet prend la coupe dans la tombe et la lance au visage de Claudius avant de se ruer dessus. Il le poignarde à plusieurs reprises. La reine pleure.)

TÉMOINS Le roi est mort, vive le roi!

LAERTES Hamlet ! (Ces deux répliques doivent se suivre de très proche.)

HAMLET ET LAERTES Pardonne-moi !

(Laertes meurt, Hamlet tombe dans les bras d’Horatio et regarde constamment sa mère.)

HAMLET Je meurs maman, justice est faite.

HORATIO No! (Il prend le couteau d’Hamlet et le porte à sa gorge.)

HAMLET Horatio! Parle…souviens-toi; je ne sais pas comment mourir…

(Il meurt alors que Gertrude lui chante une berceuse. Fortinbras et sa suite entrent, en conquérants. Lorsque celui-ci parle en français, il a un accent anglais.)

FORTINBRAS Il y a, en ce pays, beaucoup de grandeurs pourries. (Il constate le bain de sang.) Ô impérieuse mort, combien de princes as-tu comme projet d’abattre à ma place?!

TÉMOINS Maudit pays…vive le roi.

FORTINBRAS (À Horatio.) Qui est qui? (ces deux répliques doivent se suivre de très proche.)

Finis.

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