Montrer les modifications mineures - Affichage du code
Je vous présente cet entretient fictif entre Laertes, chroniqueur radio, et moi, membre du Collectif Hamlet. Cet exercice ludique représente une synthèse de mes impressions et rendra compte de mon approche au cours, de la démarche dramaturgique utilisée, des décisions prises par rapport à ma scène, des enjeux présents dans le segment et du bilan général des étapes de la création (recherche et alimentation documentaire, travail individuel, en sous-groupes et mise en commun).
Voix de Laertes : Bonjour population du Danemark! Vous êtes sur les ondes de la Radio Royale. Aujourd’hui à mon émission Inside Shakespeare nous vous posons la question suivante : What would William do now? On prend vos appels! En attendant vos réactions, nous recevons ce matin l’un des membres du Collectif Hamlet, groupe de recherche se penchant sur la transposition de l’œuvre shakespearienne dans un cadre d’actualité, soit une contemporanisation du mythe d’Hamlet et un questionnement sur la place qu’une œuvre datant de 400 ans peut prendre dans notre société du vingt-et-unième siècle. Jonathan Bécotte, bonjour! Comment allez-vous?
Voix de Jonathan Bécotte : Je vais bien, quoi qu’un peu fatigué. La fin de session…
Laertes : On vous comprend! La vie à l’université, c’est exigent. Avec un cours signé Zarov/Roy, je présume que ça ne doit pas être de tout repos! Parlant travail, pouvez-vous nous expliquer la démarche de votre groupe de recherche.
Jonathan : Et bien, le Collectif Hamlet regroupe 22 étudiants autour du célèbre texte Hamlet de William Shakespeare. De la page au plateau, c’est ce que nous tentons d’expérimenter dans ce cours échelonné sur un an. La session qui s’achève portait sur une expérimentation dramaturgique de l’œuvre du célèbre écrivain anglais. Accompagnés par Stéphane et Linda, nous avons entrepris un passage à travers la version canonique d’Hamlet, élaborant ainsi un squelette de la pièce et dégageant les principaux enjeux dramatiques qui unissent les personnages. Rapport de forces, liaisons, filiation, vengeance, folie, etc. En lectures satellites, nous avons observé les sources historiques qui auraient pu influencer le dramaturge dans l’écriture de sa tragédie…car notons le, nous parlons ici d’une tragédie… Avec tous les morts présents dans la pièce… (Tousse) Revenons-en aux faits… nous avons également fouillé du côté des diverses traductions ayant été faite du texte… On pense à Lascaris, Stoppard, Muller et plusieurs autres. Il a été très intéressant de voir les différentes voix possibles que prennent les échos d’un texte du répertoire théâtral dans une relecture plus contemporaine. Cette étape de recherche documentaire constitue l’alimentation préalable à la création, le bourrage de crâne, la saturation d’information : l’étape ressource des cycles repères. À partir de cette base commune, nous étions 22 têtes pensantes, prêtes à se risquer à la première réécriture…22 têtes qui partent dans 22 directions….
Laertes : J’imagine le chaos intellectuel et créateur! Ouf! Quelle collision! (rires) Et comment avez-vous fonctionné pour la répartition du texte?
Jonathan : Stéphane tenait grandement à la liberté de chacun par rapport au texte. Il voulait balayer l’aura sacré autour de cette œuvre majeure… Il a eu l’idée d’utiliser un moteur de recherche disponible sur internet et d’y traduire la version originale anglaise du premier Quarto (1603) en français. Il a segmenté cette bouillie syntaxique mi-germanique, mi latine, mi-googlé, en vingt-cinq fragments, a lancé le paquet de feuilles dans les airs et a demandé à chacun de nous d’en ramasser un extrait. Chaque étudiant s’est donc retrouvé devant un segment de cet objet bizarre qui n’avait plus grand-chose en commun avec la pièce d’Hamlet. Cela a permis à chacun de pouvoir prendre distance… et de faire interagir savoir et création. « Penser longtemps à ce que vous devez faire puis faites n’importe quoi », disait-il.
Laertes : N’y a-t-il pas en danger d’hétérogénéité, de divergence sémantique, de discontinuité? En voulant laissant aller dans « n’importe » quel sens… Je veux dire, de la page au plateau…c’est pour éventuellement monter un show? Et un show, ça doit se tenir non?
Jonathan : Il est évident que chacun a abordé le texte à sa manière. De plus, chacun des fragments porte en soi des enjeux différents… parfois plus du côté de l’action…parfois plus de nature discursive… et ces enjeux présents dans la pièce doivent être respectés, par soucis de continuité entre les scènes fragmentées.
Laertes : Et quelle a été votre approche au texte? Quelles étaient vos préoccupations au niveau formel? Au niveau des personnages? Qu’est-ce que vous avez voulu questionner dans votre travail?
Jonathan : Je dois avouer que de me retrouver devant cette matière indéchiffrable, ce texte charabia, m’a au départ déstabilisé. Et je crois que cette déstabilisation primaire a hanté tout mon parcours de création. Comme quelqu’un qui tombe dès les premières minutes d’un marathon et qui doit terminer la course avec une cheville endolorie.
Laertes : Félicitation pour la subtilité de votre image.
Silence
Jonathan : (se dit à lui-même) Impression de déjà-vu… (Reprend son discours) J’ai d’abord considéré le travail que je devais faire comme un nettoyage sommaire de ce texte pollué par la traduction automatique. Et ce penchant pour la propreté a réduit la liberté que je me suis octroyé… orientant mon écriture vers une traduction qui tirait sur le lyrisme. Je voyais mon segment, l’extrait combinant la demande au comédien (l’histoire de Pyrrhus), suivi du monologue d’Hamlet sur le jeu dramatique ainsi qu’une petite portion entre le roi, la reine et Polonius (l’annonce d’une pièce de théâtre au château), comme un joli poème qui se voulait ode au théâtre et à sa force de communication. Un pacte de vérité avec le théâtre. À la première lecture collective de nos écritures, je me suis vite rendu compte de mon erreur : j’étais resté beaucoup trop près du texte. Cette proximité textuelle m’attachait conséquemment à la lourde de tâche de produire une traduction impeccable qui devait faire part d’une parfaite cohérence au niveau du ton. Je me suis également rendu compte que j’avais tenté de faire entrer plusieurs de mes images poétiques à l’intérieur d’un court passage, ce qui diluait les enjeux ainsi que les échanges entre les personnages. La mission que je me suis donné dans la deuxième réécriture : faire éclater Shakespeare à l’intérieur de mon texte. Je me suis donc concentré sur l’action. Dans mon segment, il y a : (à la manière d’une recette) Un comédien qui présente un numéro, une demande faite au comédien de la part du Prince (jouer Mouse-Trap à la cours), un soliloque qui présente la réaction d’Hamlet au jeu théâtral, un Polonius et ses manigances, une reine et un roi qui vont assister a du théâtre. Une fois ces ingrédients mis sur table, enlever la pelure et tous élans lyriques. Y ajouter créativité et pulsions…. Et une pincée de rêve. Faire cuire…
Laertes : Une pincée de rêve?
Jonathan : Ah oui! Et bien… c’est assez simple. Je me suis réveillé un matin, quelques jours avant la remise de la deuxième version, avec la conviction qu’Hamlet avait des problèmes d’yeux. Qu’il avait les globes complètement secs! Ce lexique de l’œil m’a semblé très clair à travers les thèmes abordés dans la pièce : l’inaction d’Hamlet et le jeu aux larmes du comédien, la thématique du regard, du regardé, du regardant (on pense à la pièce dans la pièce et aux multiples regards qu’Hamlet lance à sa mère, au roi, à Ophélie, aux comédiens), le concept de l’observation (les gardes sur la tour, Horatio pendant le spectacle), l’illusion (le fantôme) la folie (avoir des visions), la clairvoyance, etc. J’ai donc questionné la possibilité d’intégrer la métaphore des yeux dans mon segment. En inscrivant un Hamlet souffrant de symptômes conjonctivites et en lui juxtaposant un Polonius pleurnicheur, j’ai tenté d’illustrer les démangeaisons intérieures d’un Hamlet qui voit et qui n’agit point. L’allusion au « devenir aveugle » d’avoir trop vu, d’avoir halluciné, d’avoir devant les yeux quelque chose qui lui les crève : un Claudius vivant qui lui vole mère et couronne. L’inaction d’Hamlet est concrétisée dans les larmes du comédien qui pleure la fiction qu’il est en train de jouer : Hamlet n’a plus de larmes, et n’est même pas capable de pleurer la mort de son père. Il reste là à se frotter les yeux au lieu d’agir et de pouvoir les abreuver, en agissant et en faisant taire les démangeaisons qui lui viennent de l’intérieur. Les yeux de la vengeance quoi…
Laertes : Voir clair…oui… Et par rapport au travail en duo, j’ai entendu dire que vous avez travaillé avec Luc Philippe Filiatraut. Comment s’est déroulée cette deuxième étape du processus de création?
Jonathan : Travailler avec Luc fut très enrichissant. Nous avons discuté sur l’enjeu de nos scènes mutuelles (qui étrangement étaient situés l’une à la suite de l’autre), sur l’aspect formel de nos réécritures. Le métissage entre nos deux plumes s’est effectué tard dans le processus. Peut-être un peu trop de paternalisme de ma part par rapport à mon texte… Ceci dit, Luc m’a poussé dans mes pulsions et m’a aidé a élaborer le segment de ma scène entre le roi, la reine et Polonius.
Laertes : Oh yes, oh oui! Please, parlez moi de la queen!
Jonathan : Nous avons eu de longues discussions au sujet du personnage de la reine. Le personnage de Gertrude me passionnait et je ne voulais pas laisser sommaire son traitement dans mon extrait. Luc et moi avions observé lors des lectures en collectif un phénomène de symbiose difficile entre l’anglais et le français. Ces deux langues comme deux forces, l’originale et celle de traduction, à nos oreilles tentaient de se rencontrer, de fusionner, mais chacune d’elle hésitait à l’approche de l’autre. Nous avons décidé de nous inspirer de cette dualité linguistique présente dans plusieurs textes des membres du collectif pour montrer la déchirure de Gertrude entre deux camps. Le combat des langues, l’opposition entre deux forces, la déchirure d’une mère et d’une épouse. Je perçois Gertrude comme étant au carrefour des discours, donc forcément, au carrefour des langues. Il y a aussi cette musicalité dans son discours franglais qui rajoute un effet cocasse et est vraiment amusant à jouer pour un comédien.
Laertes : Well, well. L’interview tire à sa fin. The last thing j’aimerais vous demander, is… (Il se donne deux tapes sur les joues) voyons… The last thing j’aimerais…Fuck off! The last thing j’aimerais vous demander is ce que vous retenez from this experience. Ce qui vous a pleased? Ce qui vous a depleased?
Jonathan : Je dois dire qu’en début de parcours, je n’aimais pas beaucoup la hiérarchisation qui s’installait dans la classe. Ou plutôt le sentiment que j’avais qu’il y avait une hiérarchie des textes, des auteurs… Je me suis senti en retrait et pendant plusieurs séances j’essayais de comprendre ma place au sein du groupe. En retravaillant mon extrait, individuellement et avec l’aide de Luc, j’ai appris à me donner liberté de parole et à explorer dans la création. Même si je craignais toujours mes élans vers le lyrisme et le nettoyage textuel. Je dois admettre néanmoins que l’ensemble des mises en commun, le travail en sous-groupe et tous les préparatifs pour notre lecture publique m’a fait réaliser le travail énorme que chacun des membres avait du faire pour permettre à chacun des extraits d’adhérer ensemble. Que chacun avait mis du sien pour que nos textes deviennent un tout, un tout un peu éclaté, avouons le…mais un tout. Et c’est ce travail de cohérence collective, d’accord commun et de diversité convergente que je retiens de la première partie du cours. Cette capacité à accepter l’autre dans son travail, cet échange, ce va-et-vient intellectuel et créatif. Je crois que le Collectif Hamlet est à l’image de la création collective des années 1970, tout en ayant un souci supérieur de finition et d’archivation du processus créateur. Établir la recette Hamlet 2008–2009.
Laertes : Alors merci Jonathan pour cet entretient sur le collectif Hamlet. En vous souhaitant une bonne deuxième session 2009. (Jonathan Bécotte quitte.) Nous réinviterons Jonathan la semaine prochaine, lors de notre émission portant sur l’animalisation des personnages secondaires. Il nous parlera de ses chevaux Ros & Gil. (rires) Je vous rappelle auditeurs que la question du jour est : What would William do now? Nous prenons notre premier appel. Inside Shakespeare bonjour?