Historique de CollectifHamlet.JournalFragmentXIV

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17 décembre 2008 à 15h43 par Philippe CoutureFrancis CantinStéphane Zarov -
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'''''COLLECTIF HAMLET
Traces d’un processus d’écriture
Les consignes aux comédiens – scène 14
Par Philippe Couture'''''
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'''''Les consignes aux comédiens – scène 14'''''

'''''Par Philippe Couture'''''
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17 décembre 2008 à 15h42 par Philippe CoutureFrancis CantinStéphane Zarov -
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'''''COLLECTIF HAMLET
Traces d’un processus d’écriture
Les consignes aux comédiens – scène 14
Par Philippe Couture'''''

Dans l’oeuvre originale de Shakespeare, les consignes aux comédiens relatent le rejet par Shakespeare d’un type de jeu démonstratif et déclamateur et enjoignent les acteurs à faire preuve de retenue et de naturel, s’appuyant sur les principes aristotéliciens du jeu, lesquels placent le spectateur devant son miroir et le force à un regard critique sur lui-même. Au fil des siècles, les commentateurs y auront vu une prise de parole directe de l’auteur, celui-ci profitant de la stratégie métathéâtrale d’Hamlet pour exprimer sa vision du théâtre à travers son personnage principal. Il y avait là une difficulté certaine. Fallait-il s’accrocher à cette vision traditionnelle du jeu pour la projeter dans une nouveau cadre fictionnel ? N’était-il pas mieux d’agir comme Shakespeare et profiter de la tribune pour énoncer ma propre vision du théâtre et du monde contemporain ? Peut-être était-il plus sage de tenter de rapprocher le discours de son personnage, de tisser un réseau de correspondances entre les consignes aux comédiens et les enjeux profonds de la pièce ? Si mes questionnements sur cette scène ne s’articulaient pas d’embleé aussi clairement, ils résument assez bien le chemin parcouru.

'''''PREMIÈRE RÉÉCRITURE'''''
Alors que la plupart des membres de notre collectif ont profité de la première réécriture pour installer un univers solide et affirmer clairement leur style, cette première étape ne fut pour moi qu’une première tentative, très timide et très peu personnelle, de transformer la scène. Légèrement paralysé devant ce discours solennel de Shakespeare sur le jeu d’acteur, ne sachant trop de quelle manière le faire résonner en moi, j’ai commencé par y chercher des échos à d’autres grandes théories du jeu, à le décontextualiser pour le projeter dans un autre cadre. Il va sans dire que je n’étais pas à l’étape de l’invention, ni tout à fait capable d’élaborer un discours personnel sur le jeu d’acteur.

Qui plus est, le charabia google que j’avais reçu comme texte de travail de base contribuait à brouiller le sens du discours d’Hamlet. Il me semblait qu’ainsi trituré, dépourvu de ses nuances, le texte des consignes aux comédiens revêtait un caractère encore plus manichéen que le texte d’origine, associant fortement le jeu déclamatoire et les facéties comiques au Mal et à l’enfer. Peu de descriptions du jeu idéal subsistaient, de sorte que la dénonciation du Mal y prenait toute la place. Il n’en fallait pas plus pour me donner envie d’accentuer les ressemblances du texte avec le discours de l’Église contre les comédiens et les arts de la scène, de projeter la parole d’Hamlet dans une dimension eucharistique. Retraçant sur le net une homélie contre les acteurs prononcée jadis par Saint-Jean Chrysostome, j’en ai intégré des passages dans le discours d’Hamlet. Je savais bien que le résultat, une colère radicale contre le théâtre, dans une langue pompeuse et apocalyptique, ne correspondait pas vraiment au personnage et trancherait d’avec les propositions de mes collègues. Mais j’y voyais tout de même des liens avec l’oeuvre originale, dans le sens ou la tragédie d’Hamlet s’inscrit dans un cadre religieux : Shakespeare montre bien, en imaginant le fantôme d’Hamlet-père au purgatoire ou en insistant sur respect pieux de la période deuil, que plusieurs normes sociales sont régies par l’Église dans le royaume du Danemark. Pour Hamlet, les rites funéraires et le respect des morts sont d’une importance capitale, ce qui le pousse à dénoncer avec virulence le caractère «incestueux» de la relation qu’entretient sa mère avec le frère de son père. Il me semblait que cette dimension de l’oeuvre est peu souvent exploitée; il me plaisait donc de la mettre en lumière.

Force est de constater que ce choix était plus réducteur que prometteur. S’il travestissait le personnage pour lui donner un côté puritain qui lui collait mal, il avait aussi le désavantage de positionner Hamlet dans une époque révolue au lieu de le faire parler du monde contemporain. En quoi était-il pertinent de situer le personnage dans un environnement ultra-religieux ? Quel discours sur le monde cela induisait-il ? Il n’y avait là ni dénonciation de l’hégémonie religieuse (et de quelle hégémonie religieuse? - là est la question), ni volonté de louanger le discours chrétien, ni discours étoffé sur le théâtre. Ce n’était rien de plus qu’une tentative de témoigner d’une époque révolue, dans un esprit plutôt archéologique, et de souligner au trait gras les quelques motifs religieux de la prise de position d’Hamlet. Ils sont d’importance mineure dans l’oeuvre originale, et rien ne justifiait qu’on les accentue, à moins de vouloir évoquer la réalité de quelques sociétés encore dominées par les institutions religieuses, ce qui n’était pas mon intention.

Il faut aussi souligner que devant la radicalité du discours dont Hamlet se voyait affublé, les personnages des comédiens, tout comme le roi, la reine, Horatio et Ophélie (qui apparaissent dans la seconde portion de la scène), perdaient toute substance. Dans cette première réécriture, je n’ai d’ailleurs pu les personnifier autrement que sous les traits d’individus discontinus, dont la parole est mécanique, fragmentaire et incohérente. Ce qui limite grandement les possibilités dramatiques autour de ces personnages, devenus pantins grotesques.

'''''DEUXIÈME RÉÉCRITURE'''''
La deuxième réécriture fut l’occasion d’une réflexion plus personnelle et d’une plus grande appropriation du matériel shakespearien. Cette fois, je n’étais plus seul devant l’immensité de la tâche, et le partage avec Francis Cantin, auteur de la réécriture du soliloque «être ou ne pas être», allait nous être bénéfique à tous les deux. Nos deux premières tentatives n’avaient rien en commun, mais à bien y réfléchir, elles avaient toutes deux la particularité de mettre en scène un Hamlet profondément engagé, réfléchissant au sens de l’existence et de l’art. C’est cette dimension politique, cette idée d’une prise de position publique, d’une réflexion sur le monde, qui a orienté nos deuxièmes réécritures. Pour moi, qui était encore à ce moment retranché dans les limites de la vision shakespearienne du jeu d’acteur, la possibilité d’élargir le discours du théâtre vers la société, de montrer les liens entre le jeu sur scène et l’action réelle dans le monde fut profondément libérateur. Soudainement, Hamlet nous est apparu profondément contemporain et profondément québécois. Sa culture livresque, son intérêt pour le théâtre, son anti-conformisme, ses angoisses existentielles nous permettaient de dire ce que, nous, jeunes universitaires évoluant dans un Québec encore trop anti-intellectuel, confronté sans même s’en rendre compte à ses propres insuffisances et de plus en plus terrassé par des relents de conservatisme, pensions de nos contemporains.

De l’univers chrétien de ma première réécriture, nous avons conservé le lieu. L’église, dans notre vision, y était le symbole de la place publique, l’endroit ou se brassent les idées et se rassemble le peuple : nous y voyions un moyen de sacraliser l’engagement et la prise de parole, tout en faisant appel à la mémoire d’une société jadis dominée par le clergé et qui en subit encore l’influence lointaine et inconsciente. Mais surtout, une église vidée de ses artefacts religieux devient un endroit vaste et vide, dans lequel la parole résonne en écho et se répercute d’un mur à l’autre. Il s’agissait là, pour nous, d’une formidable métaphore de l’idée de la transmission du savoir. C’est ainsi que l’écho devenait un enjeu principal de notre scène. L’écho représentait aussi, du coup, le thème de l’espionnage, fort présent dans la scène de Francis.

Du premier texte de Francis, nous avons conservé et accentué l’idée d’une langue mi-québécoise, mi-anglophone, truffée d’erreurs et de surgissements d’expressions du terroir : une langue archaïque qui contraste avec celle d’Hamlet, volontairement plus proche du français standard, mais colorée d’un flegme révolutionnaire et légèrement populiste. Plus nous travaillions la langue d’Hamlet, plus elle nous apparaissait proche de celle de Pierre Falardeau : une langue à la fois intellectuelle, provocatrice et rassembleuse, mais toutefois moins vulgaire et moins joualisante que celle du populaire polémiste.

Ainsi, les consignes aux comédiens sont devenues une sorte d’appel à la connaissance de soi, à la réflexion sur son identité, à la révélation de vérités enfouies et à la dénonciation du mensonge et de l’illusion. Hamlet y place le théâtre et la société sur un pied d’égalité et cherche à insufler un peu de lucidité à ses comédiens, sur scène comme ailleurs. Il fallait aussi insister sur la relation d’amitié entre Horatio et Hamlet. Il me semblait qu’un Hamlet aussi passionné et engagé que celui que nous venions de faire naître ne pouvait négliger ses amitiés. Devant Horatio, il n’hésite pas à nommer et qualifier leur amitié, il se montre très sincère et plus vrai que jamais.

Cela dit, cette réflexion commune, que nous avions élaborée à coups de discussions passionnées, nous a fait dériver bien loin des réalités concrètes de l’écriture dialogique. Confrontés à une date d’échéance imminente, nous n’avons pu étoffer la langue d’Hamlet autant que nous l’aurions voulu et nous fûmes forcés de rédiger à la va-vite des dialogues que nous aurions pourtant voulus profondément évocateurs de notre pensée, si modeste soit-elle. De cette deuxième réécriture, le groupe n’aura retenu qu’une impression de québécitude et n’y aura pas vu le clivage que nous avons tenté d’installer entre Hamlet et sa communauté. Tout cela manquait sans doute de clarté et de précision, et peut-être que le parti pris éloignait aussi Hamlet de sa mission vengeresse, diminuant l’épaisseur des enjeux familiaux. Dans le meilleur des mondes, notre idée d’accentuer la dimension politique (ou sociale) de la mission d’Hamlet aurait dû se conjuguer parfaitement à son sentiment de devoir filial. Une tâche d’écriture bien lourde pour le peu de temps qui nous était accordé. Qui plus est, il nous fallut constater que les prémisses idéologiques de nos réécritures ne pouvaient être ainsi imposées au collectif : il était de notre devoir d’élargir le sens des paroles d’Hamlet pour qu’elles s’intègrent mieux à l’ensemble du spectacle et demeurent ouvertes à de multiples interprétations. Ce qui ne signifiait pas, il va sans dire, qu’il fallait en éliminer toutes traces de notre réflexion.

'''''TROISIÈME RÉÉCRITURE'''''
De nos deuxièmes réécritures, l’idée de l’écho et/ou de la réverbération a été la mieux reçue par le groupe; elle nous est apparue comme une image forte et polysignifiante qu’il fallait conserver ou approfondir. Pourtant, Francis et moi avions le sentiment qu’elle ne collait pas parfaitement au texte global, et surtout, que cet écho n’aurait pas sa place en dehors du lieu que nous avions choisi (l’église). Ce lieu, nous ne pouvions l’imposer au collectif, et il aurait perdait beaucoup de sa légitimité en n’apparaissant que dans une ou deux scènes.

Nous avons donc transformé l’écho en plate-forme médiatique, empruntant à nos collègues Hubert Larose-St-Jacques et Frédéric Sasseville-Pinchaud la ruse de l’entrevue radiophonique et télévisuelle. Le média électronique, lieu de prise de parole et de diffusion directe et massive de cette parole à des auditeurs/téléspectateurs captifs, nous est apparu comme une juste transposition de l’écho que nous avions mis en scène dans notre précédente réécriture. Les appareils d’enregistrement utilisés par les médias, micros ou caméras selon les cas, pouvaient alors nous servir dans les scènes d’espionnage et de surveillance. Il y avait aussi possibilité d’esquisser par là une critique de la surcharge médiatique qui caractérise notre époque, de même que de dénoncer la contamination des mécanismes du discours médiatique dans toutes les autres situations de parole humaine. Difficile de résister à cette envie, même si, il faut bien l’avouer, la mise en scène de situations médiatiques dans une optique de dénonciation est déjà devenue un cliché du théâtre contemporain, surtout lorsque cela est fait, comme ici, au premier degré. Tant pis, nous avons opté pour l’efficacité de cette forme et ses multiples déclinaisons et potentialités.

J’avais le sentiment que dans ma deuxième réécriture, je n’étais pas encore parvenu à témoigner de la profondeur de l’amitié entre Horatio et Hamlet. Le stratagème médiatique allait aussi fournir la solution à ce problème : il suffisait que le discours aux comédiens ne leur soit qu’indirectement adressé, par l’entremise d’une entrevue radiophonique menée par Horatio lui-même. Selon cette vision, Horatio était dépêché sur les lieux de la représentation de la Souricière en tant qu’animateur d’une émission de radio universitaire de Wittenberg (je m’y suis bien sûr amusé à pasticher certaines locutions radiophoniques et des réflexes de la «langue radio-canadienne»). Les comédiens, présents pendant l’enregistrement, n’étaient plus directement interpellés, ce qui m’évitait de réécrire les deux ou trois répliques inconsistantes qu’ils énonçaient dans les précédentes réécritures. Et surtout, l’entrevue radio justifiait la présence d’Horatio sur les lieux et le ton de confidence qui s’installe entre Hamlet et lui tout de suite après les consignes aux comédiens. Une fois les micros fermés et l’entrevue officielle terminée, comme c’est souvent le cas dans la réalité des médias électroniques, les «vraies choses» peuvent être dites sans entraves et sans faux-semblants. Il s’agit encore là d’un lieu commun, j’en suis bien conscient, mais à cette étape-ci, le procédé me semblait drôlement approprié à la situation dramatique en jeu.

Mais qu’allait donc dire Hamlet à cet Horatio intervieweur ? Le ton pamphlétaire de la précédente réécriture avait déjà été écarté (trop ciblé et trop contraignant), et le désir de ramener le discours d’Hamlet à un contenu essentiellement théâtral me tiraillait. S’il était hors de question de le rapprocher du discours original sur le théâtre mimétique, il fallait sans doute qu’Hamlet parle d’une toute autre approche de jeu, la plus éloignée possible du réalisme. En plus de refléter mon propre idéal du jeu d’acteur (idéal qui se précisait un peu dans mon esprit au terme de cette troisième réécriture vous l’aurez compris), il me semblait que la description d’un jeu plus évasif, flou comme l’est toute réflexion humaine dans ses premiers balbutiements, reflétait le doute vécu par Hamlet et sa profonde remise en question de lui-même. Ce qui m’a inspiré des descriptions vaporeuses de jeu «ouvert sur le connu et l’inconnu» et dans lequel on «est réceptif à chaque souffle, à tout ce qui agite l’épiderme et chavire l’esprit». J’y ai aussi laissé poindre des références au fantôme d’Hamlet père, comparant le jeu idéal à l’état de choc éprouvé devant les phénomènes surnaturels. C’était une tentative, peut-être maladroite, de repositionner la scène des consignes aux comédiens dans les circonvolutions de l’intrigue.

L’ennui, et on me le fit savoir très rapidement, c’est qu’Hamlet exposait cette vision du jeu avec une assurance hors du commun. Il était devenu, dans mon esprit, un metteur en scène de renom dont les pièces sont louangées et les essais théoriques sont acclamés de par le monde. «Erreur», me dirent tout de suite les superviseurs de notre projet, incomparables gardiens du sens et de la cohérence de notre œuvre collective, «Hamlet doit douter de tout et ne peut rien avoir accompli de tel.» L’argument était convaincant. Il fallait retourner à mon clavier.

'''''QUATRIÈME RÉÉCRITURE'''''
Avant même que je me remette au travail, ma prose avait inspiré Stéphane Zarov, grand contributeur de ma quatrième réécriture, à laquelle il a suggéré une nouvelle structure. Si Hamlet ne pouvait pas réellement être un metteur en scène de renom, il pouvait très certainement s’imaginer en être un. L’entrevue radiophonique est ainsi devenue une entrevue hallucinée par Horatio et Hamlet, moqueurs et hilares après avoir partagé un joint (idée reprise du texte de Catherine Girardin). Astuce brillante, qui a rendu la scène plus ludique et a densifié le rapport entre Horatio et Hamlet (leur amitié et leur complicité profondes ne font plus de doute), tout en permettant un discours un brin décalé et caustique sur le théâtre (par des citations totalement hors-contexte de Grotowski). Cela débarasse le discours de son trop grand sérieux et par conséquent, de son caractère magistral et assommant. L’univers des médias s’y retrouve toujours aussi vertement critiqué, cette fois d’une manière plus incisive et moins directe, ce qui permet d’éviter l’aspect cliché de cette situation importée de la troisième réécriture. Il y a aussi une sorte de méta-théâtralité dans ce jeu d’interview imaginaire entre les deux hommes, qui rappelle indirectement le thème du jeu d’acteur dont il est question dans cette scène.

Peut-être faudra-t-il encore retravailler le texte en le confrontant à la scène ? Il n’est peut-être pas, même probablement pas dénué d’incohérences ou de paradoxes. Mais c’est ici que je me retire et passe le flambeau à l’équipe d’acteurs qui saura, j’en suis sûr, l’incarner avec passion et conviction.


''Philippe Couture, décembre 2008''
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