J’étais au sein du deuxième groupe. Je vous avouerais que j’ai longtemps hésité à demeurer dans le cours. Une finissante en Jeu fascinée par le jeu physique sur scène au beau milieu d’un océan de dramaturge. Moi qui ai toujours trouvé que les cours théoriques à l’UQAM étaient un peu « branle-tête »! Mais, j’avais envie pour une fois d’aller au fond d’un thème, au fond d’un auteur, d’y connaître tous les dessous. Les cours théoriques sont toujours très vagues à l’École Supérieure de théâtre. On passe toujours à travers des périodes importantes du théâtre au niveau scénique ou dramaturgique. Pour une fois, on pouvait aller voir les sous-vêtements de Shakespeare! Bref, je ne regrette pas mon choix d’être restée dans le cours.
Les premiers cours furent à la fois captivants et atroces. J’ai eu beaucoup de difficulté à tout gober et assimiler. Je ne crois pas l’avoir fait encore d’ailleurs. J’ai hâte de survoler à nouveau mes notes.
Pour moi, le « party » est vraiment commencé quand nous avons débuté la première réécriture. La pièce fut séparée en 25 parties distinctes puis traduite via le site Google, ce qui créa un charabia dramaturgique intéressant soit, mais incompréhensible! C’est à partir de ce charabia que nous avons débuté notre première réécriture. J’ai du me fier un peu à la version originale pour me guider.
Une pluie de texte est lancée par Stéphane, nous devons choisir au hasard parmi les feuilles jaunes. Évidemment, je choisis une scène hyper complexe : Laertes en furie et menaçant le roi Claudius, en première partie, et la folie d’Ophélie, en seconde, et dernière partie.
Moi, une page blanche et l’angoisse se sont données rendez-vous un dimanche de réécriture. J’ai alors pris mon journal et un crayon en main et j’ai vomi quelque chose environ quatre fois. Je n’étais pas du tout satisfaite, mais c’est ce que je pouvais faire de mieux pour l’instant.
Deux jours plus tard, je rencontre à nouveau une page, mais cette fois-ci, elle n’est plus vierge. C’est déjà plus rassurant. Elle est raturée, certes, mais il y a de la vie! Un peu plus confiante cette fois-ci, je me concentre alors sur les actions de la scène.
« Ophélie sort, le roi et la reine sont sur scène. Laertes arrive. La reine s’impose. Le roi rassure Laertes et Ophélie revient. »
Ensuite, étant donné que ma force, c’est l’interprétation, j’ai concentré mes recherches sur les enjeux des personnages et leur relation entre eux. C’est pourquoi je vous explique mon cheminement en vous décrivant chacun des personnages et leurs intentions, qui ont d’ailleurs évolué au fil des écritures.
1RE VERSION
LE ROI ET LA REINE
À la suite de la première crise de folie d’Ophélie, il me semblait intéressant de voir le roi sous le choc et incapable de bouger. De plus, je voulais manifester la distance et le questionnement chez la reine en la plaçant à l’écart. Je voulais que l’on voie le conflit. Le premier monologue du roi manifestait sa vulnérabilité en privé. C’était important pour moi de complexifier ce personnage. Selon moi, il n’est pas qu’abominable. Je voulais lui donner de l’humanité et ainsi créer le doute et la peur chez lui. Cette peur se situerait au niveau de la folie, étant donné, qu’elle le côtoie de plus en plus via les personnages d’Hamlet et d’Ophélie. J’ai donc voulu jouer sur cette thématique dans ce monologue et je l’ai poursuivi avec la réplique de Laertes : « Êtes-vous sain d’esprit mon bon roi? » D’ailleurs, le fait qu’il soit en privé, lui permettait d’être lui-même. En public, il est beaucoup plus autoritaire et tente de manifester ses pouvoirs.
En ce qui concerne la reine, je la voyais très forte et imposante, malgré le dévoilement du meurtre de son ex-mari. Une femme de peu de mots, mais dont les paroles remettent en question l’ordre établi. Je ne savais pas exactement les enjeux de la reine alors j’ai osé ajouter une culpabilité à ce personnage et ainsi, créer une complicité meurtrière entre elle et le roi. Je voulais alors qu’elle soit en dualité entre son amour pour Claudius et sa vengeance pour le meurtre de son mari. Toutefois, mon souhait était de réduire au maximum ses paroles. L’actrice aurait alors un défi intéressant!
LAERTES
En ce qui a trait à Laertes, il m’était essentiel d’apporter à ce personnage, une arrogance et une ironie glaciale. On se devait de voir son soudain dégoût pour la royauté et la vie en général. Il devait investir l’espace avec puissance. Ainsi trois puissances se rencontreraient. Je voulais qu’il brise l’état de pouvoir du roi et de la reine. Les tentatives meurtrières de Laertes devraient alors déstabiliser le roi et celui-ci devrait craindre le jeune Laertes.
GARDE
Ensuite, dans le texte original, il y avait la présence d’un messager comique. C’est pourquoi je voulais amener ce garde un peu loufoque qui présente exhaustivement l’arrivée de Laertes.
OPHÉLIE
Ophélie a été le personnage qui m’a semblé le plus complexe à construire. Avec le rejet d’Hamlet et la mort de son père assassiné par son amoureux, Ophélie plonge dans une détresse démesurée. Son esprit et son cœur ne peuvent concevoir le tragique événement de sa vie. C’est pourquoi elle sombre dans la folie. Ainsi, Ophélie n’est plus qu’instinct et démesure. Elle est à la fois, l’enfance, la naïveté de la nudité et la sexualité bestiale. Elle provoque.
COMMENTAIRES LINDA/STÉPHANE suite à la lecture
1- Il me fallait ajouter des citations provenant de La mouette de Tchekhov et Andromaque, de Racine.
2- Grâce à ton texte, nous pouvons maintenant discuter des vraies intentions de la reine et de ses enjeux dans la pièce et d’uniformiser notre pensée.
3- Plus de subtilités. Je donne trop d’informations.
4- Mon texte est près de l’original et donc, c’est très difficile à soutenir.
MES RÉFLEXIONS SUITE AUX COMMENTAIRES
1- Je suis allée trop loin dans la complicité meurtrière entre le roi et la reine. Disons plutôt qu’ils sont complices indirectement puisque dans la scène Gertrude/Hamlet/Révélation du meurtre, elle réalise ses torts et elle les révèle à Hamlet. Il y alors une genre de « réconciliation » entre Hamlet et Gertrude. Cette scène précède la mienne. On doit donc voir la détresse de la reine. Elle peut être dissimulée, mais elle doit être présente. Elle doit hésiter entre l’amour de son fils et l’amour de son nouveau mari. (D’ailleurs, lorsqu’elle boit la coupe, elle choisit alors l’amour de son fils. Elle se sacrifie.) À ce moment-là, je décide alors que la reine pourrait être silencieuse et inactive. Mais, je ne parle pas ici de passivité. Elle devra tout contenir pour peut-être même exploser un peu plus tard. Je garde l’idée qu’elle soit forte et qu’elle ne doit pas être vulnérable.
2- Le premier monologue de Claudius est trop long et je donne trop d’informations. Je dois penser au jeu de l’acteur. Je ne dois pas tout dire si je veux donner du « jus » à jouer aux acteurs.
3- L’idée de l’échec brise l’action, peut-être que je vais garder une réplique sur la présence du roi et de la reine sur la même case lors de la « bataille » entre Laertes et le roi.
4- Simplifier le soliloque d’Ophélie sur la plume et éliminer l’énumération.
5- La chanson d’Ophélie pourrait être plus subtile.
6- Ajoutez un soliloque pour Laertes.
7- Le roi doit être plus faible.
DISCUSSION SUR LA REINE (en cours)
Cette discussion m’a été très utile puisqu’elle déterminait en quelque sorte l’enjeu de ma scène. Ainsi, suite à de longues discussions sur les intentions de la reine, les membres du cours ont conclu que la reine n’était pas une victime à la manière d’Ophélie.
Par la suite, nous avons dû réfléchir sur ses désirs de femme et ses choix personnels. Nous avons donc admis que la reine avait été une femme mal baisée par son mari précédent et qu’elle avait alors décidé de passer de la femme-mère à la femme-femme. Elle a d’ailleurs un pouvoir immense sur les hommes. Claudius est alors à ses pieds et l’aime passionnément.
Elle fait des choix et prend des décisions pour elle. Elle fait ses expériences. La reine délaisse son fils et ses responsabilités de mère. Il est désormais un adulte et peut subvenir à ses besoins. Toutefois, cela n’empêche pas qu’elle l’aime toujours comme une mère aime son enfant. Quoique leur relation reste ambiguë.
C’est une femme moderne qui doit concilier « famille et travail » ou plutôt « famille et vie sexuelle et amoureuse. » Elle envoie d’ailleurs son fils à l’université de Wittenburg. Elle n’a donc pas eu à trop l’éduquer.
LE MEURTRE
Claudius et la reine auraient eu des relations sexuelles durant le règne du roi Hamlet. Claudius aurait éliminé le roi par jalousie afin de garder la reine à ses côtés. C’est donc un meurtre passionnel. La reine n’aurait pas connaissance de ce meurtre jusqu’à la grande conversation avec son fils dans la chambre. Suite à cette révélation, la reine ferme les yeux sur le meurtre, cela dit, elle n’a jamais participé à la mort de son ex-mari. Lorsqu’elle boit la potion, c’est la rédemption. Elle veut mourir.
Quelle est la folie d’Ophélie et pourquoi ?
Son amoureux a poignardé son père. Elle est en dépression sévère et elle n’a plus d’inhibition. Elle est comme une enfant. Sa vie n’a plus de sens. Elle vit sa folie complètement et elle n’a pas de conscience du monde.
2ÈME VERSION-A
LE ROI/LA REINE
J’ai réduit le monologue du roi et j’ai joué sur la prestance et l’autorité de la reine. Je lui ai donné beaucoup plus d’autorité que le roi lui-même. J’ai complètement éliminé la culpabilité de la reine vis-à-vis le meurtre puisqu’elle n’est plus complice. C’est maintenant le roi qui court après la reine.
LAERTES
J’ai gardé l’arrogance de Laertes.
OPHÉLIE
J’ai ajouté les citations de La mouette (de Denoncourt, toutefois) et d’Andromaque, de Racine, puis j’ai annexé une citation d’une autre pièce de Shakespeare, Lady Macbeth. J’ai choisi des citations de solitude, de mort et de vengeance, ce qui était très pertinent pour le personnage d’Ophélie. J’ai enlevé le bout des plumes d’oiseau et l’énumération.
COMMENTAIRES DE LINDA ET STÉPHANE SUR LA VERSION 2-A
1- Trop de condescendance, trop de descriptions. 2- L’épée avec un son strident : Bien. 3- Jouer sur l’accélération, pas trop poétique ! 4- Couper « Allons, ma reine » et Dites-moi ce que vous pensez de tout cela. » 5- Pas d’impatience et de crainte pour le roi. 6- Pas d’effet comique avec le garde. 7- Ophélie de plus en plus effacée. « reine margaret. » 8- Donner du poids à Ophélie : Claudius et Laertes interrompu par Ophélie. 9- Peut ridiculiser les scènes qui se sont passées dans le passé et auxquelles elle aurait assistées. 10- Ophélie peut entrer avec un fusil. 11- Elle est enceinte, elle veut faire un double meurtre. Elle l’aurait dit juste à Laertes.
2EME VERSION-B
LE ROI/ LA REINE
Dans cette version, le roi est beaucoup plus faible. Je voulais qu’on voie sa peur non pas au niveau psychologique, mais au niveau physique. C’est pourquoi j’ai amené l’idée de la cigarette. Le roi serait incapable d’allumer sa cigarette et la reine, supposément calme et sereine –surtout plus forte que le roi- se dirige vers lui pour lui venir en aide. Ainsi, la relation roi-reine et dominé-dominant serait établie dès la première didascalie. Le silence de la reine me semble essentiel et fascinant. Cela dit, il donne un défi de taille à l’actrice qui campera ce personnage.
GARDE/LAERTES
J’ai voulu ici amener un peu plus d’action. Je voyais le garde et Laertes se bousculer dans ma tête. C’était très précis. Je voulais que Laertes devienne une menace réelle pour le roi qui devrait cacher sa peur. La reine doit protéger son roi. Elle l’aime, malgré tout. On doit toutefois toujours sentir son dilemme : croire son fils ou son nouveau mari. J’ai également ajouté à Laertes une touche d’ironie afin de nuancer son personnage.
ROI/ LAERTES
J’ai dû rendre crédible les arguments de Claudius afin de calmer les ardeurs du jeune Laertes. Claudius devrait avoir des arguments de taille pour convaincre Laertes. Le sous-texte de Claudius doit être : J’ai aimé ton père et donc, je ne pouvais pas l’assassiner.
OPHÉLIE
J’ai fait évoluer son petit soliloque sur les plumes. Je voulais faire un petit parallèle avec son enfant.
PHRASE DE STÉPHANE QUI M’A MOTIVÉ : « Joue au rôle de l’auteur célèbre ! »
3ÈME VERSION
LE ROI/LA REINE
J’ai enlevé la première didascalie concernant la cigarette. Je trouvais que ce n’était pas assez fort pour montrer l’angoisse et la peur extrême de Claudius. C’est à ce moment que j’ai pensé à sa couronne, sa seule fierté ! De plus, dans la scène 23 (je crois), la reine lui demande de l’astiquer, alors c’est un beau lien.
J’ai également ajouté une ambiance musicale redondante. Je voulais quelque chose d’aliénant et de désagréable pour lier à l’épée stridente de Laertes.
Stéphane m’a proposé de faire une immense didascalie étant donné qu’il y avait beaucoup d’actions et que le dialogue était alors futile. J’ai adoré l’idée !
LAERTES/GARDE
J’ai supprimé la comédie. J’ai plutôt glissé vers le dramatique. Ainsi, le garde se fait achever et Laertes entre avec les vêtements de son père.
OPHÉLIE
J’ai également ajouté qu’Ophélie pourrait être trempée comme si elle avait tenté de se suicider précédemment, mais qu’elle n’avait pas été capable. De plus, cela fait un lien avec la poupée-Ophélie de la scène 19. La folie d’Ophélie est également plus poussée : elle entend de la musique du gramophone alors qu’il est éteint. Elle prend l’épée de son frère, elle devient alors menaçante. Elle glisse l’épée sur son corps. On voit ainsi son côté bestial. Son état dépressif est également visible par le fait qu’elle veuille entrer l’épée dans son ventre.
4ÈME VERSION
Cette version demeure semblable aux autres versions. Toutefois, quelques coupures de didascalies ont été commises sans toutefois réduire les enjeux de la scène.
Voilà, c’est à vous, chers acteurs ! Amusez-vous bien.
2ÈME VERSION-A
Ophélie fixe Claudius avec insistance, et ce, jusqu’à sa sortie.
Le roi n’ose plus bouger.
La reine semble absente et est à l’opposé du roi dans l’espace.
LE ROI : chuchotant, Ma foi, la folie me hante et me guète. Hamlet, maintenant Ophélie… Suis-je le prochain? M’aurais-t-on maudit? (Un temps) Non. Du calme, Claudius.
Il sort un paquet de cigarettes de sa poche de veston, tente en vain d’allumer son briquet. La reine traverse l’espace scénique avec prestance et assurance jusqu’au roi. Elle sort un briquet d’entre ses seins, allume la cigarette du roi et la lui prend de la bouche pour une inspiration pour la lui remettre à la bouche.
LE ROI, à la reine, C’est à se tirer une balle.
La reine reste dans le silence.
LE ROI : Ophélie… c’est à se tirer une balle.
La reine prend la cigarette de la bouche du roi, se dirige vers son trône et s’assied. Le roi la suit presque à la course. Elle fume tranquillement. Le roi la fixe.
LE ROI : entre les dents, Gertrude…
La reine jette la cigarette devant elle et l’écrase à l’aide du talon de son soulier.
Des pas de course. Le garde et Laertes se bousculent à l’entrée. Le garde apparaît ensanglanté suivi de près de Laertes, vêtu des vêtements de son père. Le roi se lève de son trône subitement.
GARDE, essouflé, Mon bon seigneur, nous avons un petit contretemps et je…
Le garde s’effondre au sol. Laertes achève le garde et crie tout en glissant son épée au sol, ce qui crée un bruit strident et désagréable. Il s’approche du roi, debout devant son trône. Il pointe son épée sur la gorge du roi et lui tient fermement l’épaule droite avec sa main libre.
LAERTES : Où est mon père? (Criant et séparant chaque mot.) Où est-il? (Sa voix résonne dans l’espace.)
LE ROI, la gorge serrée, Il… est… mort…
LAERTES : Mais encore, sale con?! Qui l’as tué? Que je le tue! (Laertes pousse de plus en plus son épée sur la gorge du roi.)
La reine pousse le roi vers l’arrière, ce qui le fait s’asseoir sur son trône. La reine se déplace devant Laertes et prend ainsi la place du roi.
LA REINE : Laertes! Non! Ce n’est pas lui. Calmez-vous, je vous en supplie!
Laertes pointe son arme vers la reine.
LAERTES : nerveux, rire, Reprenez votre case dans l’échiquier ma bonne Reine ou je vous mets à l’échec. (Il lui fait signe de retourner à son trône. Elle ne bouge pas.)
(Il s’appuie sur le manche de son épée qui est contre le sol. Il feint une réflexion.) Deux pions sur la même case. Cela pose problème.
Il pousse violemment la reine sur le côté, elle tombe au sol. Il agrippe la col du chemiser du roi, agenouille le roi et point à nouveau son épée en direction du roi. Vis-à-vis le cœur cette fois-ci.
LAERTES : À la reine : Cette lame droit au cœur. Qu’en dites-vous ma reine? Votre mari, mort?
LE ROI : Sentez mon cœur Laertes. Il bat à une cadence constante. Ainsi, en déduirez-vous, j’espère, que je ne ressens pas la culpabilité.
LAERTES : Vous mentez!
LE ROI : Dans quel but aurais-je commis ce meurtre, Laertes? Réfléchissez. Votre père était mon espion, mon bras droit, mon allié… comme un frère.
Silence.
Il ne m’a jamais trahi et il n’a jamais été une menace pour moi.
Silence.
En chuchotant, D’ailleurs, j’aurais à vous faire part de quelques informations cruciales concernant la mort de votre père.
Laertes baisse tranquillement son arme.
LAERTES : Dites… je vous en prie.
Laertes attend la réponse du roi et il se fait interrompre par l’entrée d’Ophélie.
Elle déambule dans l’espace. Elle fait des gestes amples à la manière d’une princesse dont la robe virevolte au vent. Cela dit, elle est pratiquement nue.
LAERTES, qui reconnaît à peine sa soeur : Ophélie?
Ophélie danse une valse avec un partenaire imaginaire. Elle tourbillonne un instant avec excès. Comme si on la forçait à tourner. Elle s’arrête brusquement. Sa voix est plus aiguë qu’à l’habitude. Elle dialogue avec les personnages à l’aide de réplique de pièces connues. On y retrouve les personnages suivant : Lady Macbeth, Andromaque, Nina (de la version de Denoncourt.)
OPHÉLIE : Je suis seule. Une fois tous les cent ans, j’ouvre la bouche pour parler, et ma voix résonne tristement dans le vide, et personne ne m’entend…
La reine s’approche d’Ophélie et tente de la couvrir de sa cape.
LA REINE : Ophélie, ma tendre et douce Ophélie.
Ophélie la repousse.
OPHÉLIE : Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle : je vous le répète. Il est enterré, il ne peut pas sortir de sa tombe.
La reine lance un regard furtif au roi et quitte la scène au pas de course.
LAERTES : Ma sœur… Mon ange?
OPHÉLIE : Ange, nuage ou vapeur?
(Elle imite une tragédienne.) Qui suis-je? Qu’ai-je fait? Que dois-je faire encore? Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore? Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais. Ah! ne puis-je savoir si j’aime, ou si je hais?.
Elle détache une plume de sa chevelure.
Je l’aime. Elle détache une autre plume. Je le hais. Et ainsi de suite.
Voilà pour toi.
LAERTES : Une plume?
OPHÉLIE : Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça. Je flotte. Je virevolte au vent. Est-ce que tu me vois virevolter? (Temps) Je flotte et je suis morte, mais j’appartiens toujours à quelqu’un. Je laisse voler une plume de mon être. Elle saura bien me représenter.
Ophélie fredonne à la manière d’une berceuse pendant la réplique de son frère : Morte-vivante-morte-vivante-morte-vivante.
LAERTES : Ophélie… Pardon.
OPHÉLIE : Bou-hou. Sèche ces pleurs, mon bon seigneur. Que voulez-vous donc, mes braves hommes? Eh-Oh, regardez-moi dans les yeux, mon cher roi. Ah! J’aurais dû être une reine.
Ophélie se déplace vers le trône de la reine et occupe l’espace royal de la reine. Elle imagine le trône à la manière d’une selle. Elle imite donc les gestes d’un cavalier sur son cheval.
Sur cette selle, s’amoncellent mes envies. « Soit ma femme » que l’on me dit. Et malgré ma honte, je dis oui À la chevauchée sans merci. Il est parti bien vite laissant son ombre derrière lui…
Temps
Puisse celui qui est de moi, soit différent de moi.
Ses gestes suggérant l’acte sexuel s’estompe peu à peu et devient les gestes d’une mère berçant son enfant. Elle fredonne doucement une berceuse pour son enfant imaginaire pendant les répliques qui suivent.
LAERTES : Pourquoi ces épreuves?
LE ROI : Du calme. Du calme. Laertes.
LAERTES : On veut ma mort. On veut ma perte.
LE ROI : criant, ASSEZ! Assez, mon brave Laertes.
Le roi secoue Laertes.
Regardez-moi. Laertes?
Un temps.
Bon, vous voilà, plus calme.
Un temps.
Écoutez ce que j’ai à vous proposer.
Ils se dirigent vers le trône. Laertes s’accroupit devant son roi qui, lui, est bien installé sur son trône.