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MODE D’EMPLOI : RÉÉCRIRE HAMLET
Le projet Hamlet est d’abord apparu comme une grande aventure. Un lieu de recherche, d’intégration, de mixité. Apprendre à connaître une œuvre, intimement, puis la remodeler, la réécrire. Après près de 6 semaines à étudier l’œuvre, le plongeon dans la réécriture fut marqué de d’excitation, mais aussi d’appréhension. Quoi faire avec ce monstre? Comment le dompter? Comment le mettre au pas? Après une session, le travail n’est pas fini. Mais il est drôlement bien avancé.
RÉÉCRITURE 1 – La censure
Le concept de départ pour la première réécriture était fort intéressant : tout laisser de côté et partir de la version traduite par le traducteur Google pour écrire notre première version de scène. Cependant, je me trouvai rapidement confronté à un problème flagrant : j’avais une scène d’action, avec des informations et des relations entre les personnages assez précises. Je devais donc composer avec des facteurs invariables, et ne connaissant pas ce qui venait avant ma scène, je ne sentais pas l’espace que je pouvais me donner. Et par peur de je ne sais trop quoi, je me suis censuré.
Ce fut ma première erreur. Ma première version, finalement, ne faisait que coller au texte de Shakespeare. On classa se type de texte dans la catégorie «langue des traducteurs de Shakespeare«. Le résultat était moyen. Mais pour ce qui est de la structure, j’avais compris les mécanismes de la scène.
La section 23 est la deuxième partie de la scène des Fossoyeurs de l’acte 5 ainsi que l’arrivée du cortège funèbre venant enterrer le corps d’Ophélie. Plus précisément, la première séquence de la section parle de ce qu’on sait, chez les gens du peuple (fossoyeurs), du départ de Hamlet en Angleterre. La deuxième séquence traite du crâne de Yorick, retrouvé à côté de la tombe, et qui rappelle des souvenirs à Hamlet. S’en suit un discours sur les traces que laissent un homme après sa mort. Arrive après le cortège funèbre d’Ophélie. Laertes discute avec le prêtre, lui demandant s’il ne peut rien faire de plus pour sa sœur. Gertrude fait un très court hommage à Ophélie. Puis Hamlet se dévoile à Laertes. Les jeunes gens se battent et Hamlet quitte.
Ayant clarifié le chemin à prendre, la table était mise pour la deuxième réécriture.
RÉÉCRITURE 2 – L’appropriation
La lecture des premiers textes en groupe m’a permis de voir jusqu’où je pouvais aller avec mon texte. Plusieurs idées m’ont vraiment allumées (Radio-Royale de Hubert, Shoot the pigeon et les scènes en parallèle de Roxanne). De plus, j’ai remarqué l’utilisation assez courante d’un français plutôt québécois (sans être relâché).
La deuxième réécriture signifiait le début du travail en équipe. Je me retrouvai avec Hubert, dont j’adorais la scène. Ce fut un pur bonheur par la suite. Nous avons choisi de travailler en deux étapes. D’abord une réécriture en solo, puis un échange de texte. Lui travaillait sur le mien, puis moi sur le sien. Ensuite, on se ré-envoyait le tout pour les corrections finales.
Je commençai donc à me réapproprier ma scène. Je changeai le registre de langue, ce qui allégea de beaucoup la scène. Ensuite, je m’attaquai à une réactualisation de certains éléments. Yorick, par exemple, est devenu un animateur d’émission pour enfant, un peu à la manière de Krusty le clown dans Les Simpson. Le discours sur la religion est aussi devenu beaucoup plus violent. Le prêtre, plutôt que de refuser la requête de Laertes, explose et met à jour la perte de respect fasse aux valeurs de l’Église. J’esquisse aussi dans la deuxième réécriture ce qui sera mon cheval de bataille par la suite : l’écriture en tableau. Plutôt que d’écrire les répliques une à la suite des autres, les répliques sont mises en page en tableau. Cette écriture permet une cacophonie, des procédés comiques (les commentaires du clown) et des effets plus dramatiques, qui apparaîtront dans les écritures subséquentes.
Le travail avec Hubert m’a permis de travailler sur sa scène à lui. Ce fut un plaisir, Hubert écrit très bien. Il a aussi beaucoup apporté à mon texte. Mon écriture est souvent difficile à parler. Il a modifié certaines répliques pour les rendre plus intéressantes à l’oral. Ce travail fut complété en duo sur la troisième réécriture.
TROISIÈME RÉÉCRITURE - La machine
La lecture de la deuxième réécriture fut assez encourageante. La tirade du prête fait rire, mais est assez percutante pour que le message passe. L’écriture en tableau fait aussi ses preuves. Je décide donc de mettre toute la fin de la scène, le duel Hamlet-Laertes, dans ce cadre d’écriture. De plus, un défi est imposé au gens qui travaillent sur l’acte 5 ( Edith, Véronique et moi-même). La section 24, qui doit être, dans la pièce de Shakespeare, le moment ou Claudius envoie un messager pour attirer Hamlet dans le duel final, n’a pas été distribuée. Il y a donc un trou entre la scène du cimetière et celle du duel final. Le défi est le suivant : réécrire l’acte 5 en éliminant le changement de lieu. Le duel final doit donc se dérouler sur la tombe d’Ophélie.
L’idée trottait dans la tête de M. Zarov depuis un moment. J’ai donc décidé de m’y mettre. Par une entourloupette dans une réplique de Claudius et en ajoutant quelques répliques à la section 23, nous étions capables de faire le lien de manière claire et précise entre la section 23 et la section25. Et l’écriture en tableau devenait un outil des plus efficaces. La pièce d’Hamlet est marquée par l’inaction de son personnage principal. Toujours, il fuit l’action, et refuse de faire fonctionner les rouages traditionnels de la tragédie de vengeance. L’écriture en tableau permet à plusieurs personnages de se parler entre eux, par groupe de deux, de trois ou de quatre. Elle permet les réactions de plusieurs personnages simultanément, de façon précise, à tel ou tel élément d’une réplique. Ces réactions en direct sont, pour moi, un gage d’organicité et de fluidité, mais aussi d’accélération du rythme. C’est comme si, enfin, la machine se mettait à fonctionner à plein régime. Le plan de Claudius est prêt, Hamlet ne peut pas reculer, tous les éléments sont en place. Et la machine ne s’arrêtera plus avant que sont but ne soit atteint.
Les personnages morts, dans notre version de Hamlet, ont tendance à revivre très peu de temps après leur mort. Ainsi, Gertrude se relève après l’empoisonnement dans la scène 25, Polonius fait de même dans la 17, et Hamlet père, bien évidemment, hante les remparts d’Elseneur pendant tout le premier acte. Dans la logique, il ne manquait qu’un mort à réveiller : Ophélie. C’est pourquoi je me suis donné comme mission de la faire revivre, juste à côté de sa tombe. Cependant, dans ma scène, seule Gertrude peut la voir. Et ce n’est pas en vain. Je veux ici qu’Ophélie soit vu comme un présage, un élément supplémentaire qui vienne pousser la Reine à agir pendant la scène 25. Je n’ai jamais poussé ma réflexion plus loin que ceci, mais je tente quelque chose. En alliant, à la fin de la pièce, les deux femmes les plus proches d’Hamlet, l’enjeu devient plus grand pour Gertrude. Elle se doute des dessins de Claudius, elle sait que son fils est en danger, et ce duel impromptu n’est pas pour la rassurer. L’apparition d’Ophélie la met sur le qui-vive. Gertrude aussi a son rôle à jouer dans la scène finale et elle doit le jouer.
Le lien entre la section22 et la section 23 a aussi été retravaillé. Nous voulions, Édith et moi, que le passage se fasse le mieux possible. Ses fossoyeurs étaient déjà géniaux, je n’ai donc pas voulu leur enlever d’importance ou de subtilité. Edith a travaillé un bout de réplique pour amorcer la discussion sur l’Angleterre et Yorick, ce qui a permis de lier les deux textes pour une première fois. Elle a aussi jeté un œil sur mes fossoyeurs, afin d’harmoniser leur niveau de langue.
Troisième réécriture (bis)
Après la troisième réécriture a commencé le travail en vue de la lecture public de la fin de la session. Le temps nous manquait, évidemment, mais le moral était bon. Des modifications ont dû être faites pour aider au déroulement de la pièce. À part quelques déplacements de didascalies, tout allait bien. Mais les fossoyeurs en début de scène me causaient encore des soucis. La transition était trop lourde à mon goût. Pour la première fois, par moi-même, j’ai sorti les ciseaux. Hubert m’aidait beaucoup pour ce genre de chose, mais là, je n’avais pas le choix, je devais agir seul. J’ai donc réécris le début de scène. Réécrit est un grand mot. J’ai remanié les phrases pour qu’elles glissent mieux avec le style précis et direct d’Édith. Et je suis assez content du résultat.
QUATRIÈME RÉÉCRITURE – Le lègue
La version quatrième de la section 23 est celle de la lecture. Je ne crois plus, comme auteur, être capable de réécrire ce que j’ai. Je crois que le texte doit se jouer et que c’est comme ça qu’il gagnera en précision. Tout le début n’est pas trop problématique. Le gag du DVD dans la réplique d’Horatio sera remis entre les mains de la metteure en scène. Je ne suis pas prêt à l’enlever moi-même, mais s’il ne marche pas, je sais que la production saura s’en débarrasser.
La partie la plus délicate sera évidemment le tableau final à 6 voix. Dans sa disposition actuelle, il fonctionne si chacun des comédiens suit les lignes. Exemple.
CLAUDIUS : Don’t fuck with king Claudius. HAMLET : Je crois la parole du fantôme plus que tous les cons du Danemark.
OPHÉLIE : Je suis une mouette.
Claudius sera le premier à parler. Hamlet commencera sa réplique au même moment où Claudius dira le mot king. Ophélie commencera son texte au même moment où Hamlet dira le mot fantôme. Et ainsi de suite.
La version actuelle du tableau fonctionne. Nous l’avons essayé une fois en lecture, et quand tous sont sur le bon rythme, l’ensemble est très intéressant. Cependant, selon ce que la metteure en scène voudra faire ressortir plus précisément, elle pourra jouer sans problème avec l’ordre et l’enchaînement du texte.
De plus, un travail de précision au niveau du majeur et des mineurs pourra aussi être tenté. Je ne sais pas s’il est plus intéressant de jouer tout volume maximum ou s’il serait plus intéressant, tout en restant dans le rythme, de mettre des parties en sourdine ou en évidence. Le rythme de chacun des personnages pourrait aussi faire l’objet d’une étude, particulièrement pour Gertrude et Ophélie, qui sont moins présentent dans l’action.
Voilà! Tout est dévoilé, plus de secret dans ce petit morceau de ce qui fut une pièce de Shakespeare et qui maintenant est l’œuvre première et unique du grand collectif Hamlet. À ce dernier je lègue tout. Pour la suite des choses.