THE PEN
AA : Voilà, c’est tout pour moi.
BB : C’est bien.
AA : C’est bien… Est-ce que j’ai pris trop de temps?
BB : Non. En fait, peut-être un peu. Merde. J’dois partir bientôt.
AA: Bon, alors, la parole est à vous.
BB : Merci. Premièrement…
AA : La prochaine fois, je vous laisserai commencer.
BB : Merci. La première chose à faire, selon moi, ce serait
de …
AA : Est-ce que c’est ma plume?
BB : Pardon?
AA : La plume. Celle que vous tenez. C’est la mienne?
BB : Vous me demandez si ma plume, c’est la vôtre?
AA : L’avez-vous prise sur mon bureau ou …
BB : Non.
AA : Pendant un de nos meetings? Vous en êtes sûr?
BB : C’est ma… -
AA : Ça fait un mois que je l’ai plus.
BB : On a eu notre premier meeting seulement la semaine passée.
AA : Mais où est-ce que vous l’avez eue?
BB : C’est un cadeau.
AA : [Un cadeau. C’est drôle, j’en ai une pareille. Ou plutôt, j’en avais une. Identique. Et elle a disparu. Et là, je la vois dans votre main. Un cadeau, vous dites. De qui?
BB : Personne que vous connaissez. Je suis désolé(e) mais qu’est-ce que vous disiez déjà?
AA : Comment vous avez fait pour - non, comment cette personne l’a eue?
BB : J’ai vraiment du mal à croire que la personne qui me l’a donnée l’ait volée, si c’est ce que vous insinuez.
AA : Ca fait combien de temps que vous l’avez?]
BB : Est-ce qu’on peut revenir à notre sujet ?
AA : Je n’ai plus la mienne depuis un mois. Jour pour jour, j’pense… on est quel jour? Le… Ah oui, un mois exactement. Il y a un mois, c’était la fête de mon frère.
BB : Je vois vraiment pas -
AA : J’voulais lui écrire une carte. J’trouvais pas ma plume. Cette plume là. Donc, ça fait combien de temps que vous l’avez? Quand est-ce que cette personne vous a donné ce cadeau? Il y a un mois? À peu près? Vous ne voulez pas répondre? Parce que c’est à ce moment là qu’il (qu'elle) vous l’a donnée c’est ça?
BB : C’est mon stylo. C’est un cadeau. Je vais vérifier ça avec la personne qui me la donnée. Ok?
AA : J’suis désolé(e), j’ai plus le temps. Envoyez-moi vos notes par courriel. [Je leur donnerai.]
•
CC: [Mais ils l’ont nommé roi. Il est dans le coma avec la moitié de sa tête éclatée, scrap, pis ils l’ont nommé roi du Népal.]
BB : Il reste-tu du café?
CC : [Il a tiré son père, sa mère, ses frères, ses sœurs pis d’autre monde, pis ils l’ont quand même nommé roi. Il a été dans le coma, deux jours. Il survivra probablement pas. L’oncle a dit que c’était un accident - ben oui, c’est clair, dix personnes sont mortes quand un fusil a “accidentellement” tiré. Je vais arrêter de lire les journaux pis je vais arrêter de regarder les nouvelles.]
BB : Lire les journaux du dimanche c’est un rituel.
CC :[He bien, lis-les toi parce que, moi, ça me déprime. Et on est supposé faire la mondialisation avec ces gens-là? On est supposé mondialiser avec un prince couronné qui -
BB : Ok, Ok.]
CC : Range les journaux. On devrait faire autre chose de nos dimanches.
BB : Tu devrais te calmer. [C’est rien. En fait, c’est plutôt drôle.]
CC : [Je l’sais. Je devrais l’prendre comme … Mais j’peux pas. Écoute-moi pas. Je deviens fou (folle).]
BB : Oh, pendant que j’y pense : où t’as eu ma plume?
CC : La plume… Le stylo?
BB : Tu me l’as donnée le mois passé. “Pour mes réunions”.
CC : J’peux pas te dire ça.
BB : Pourquoi pas?
CC : Tu vas aller à la boutique pour voir combien j'l’ai payée.
BB : Donc, tu l’as achetée.
CC : Non, non, je l’ai volée!… Je niaise.
BB :[OK]
CC : Tu pensais que je l'avais volée?
BB : Désolé(e)… Le maudit con(la maudite conne.
CC : Qui ça?
BB : Personne. Quelqu’un avec qui je travaille sur les soumissions. L’autre jour, il (elle) m’a accusé(e) d’avoir volé sa plume… ma plume.
CC. Voler.
BB : [Notre compagnie travaille avec eux - ils sont dans la tour Nord.
CC : Je déteste cette tour.
BB : Tu détestes cette tour.
CC : Oui
BB : Elle est pareille comme l’autre.
CC : Non, il y a quelque chose qui cloche avec elle. Je les ai nettoyées toutes les deux et dans la tour Nord, il y a quelque chose qui va pas. Le feng shui peut-être. Ta tour est beaucoup mieux.]
BB : … Est-ce que ça va?
CC : J’sais pas ce qui va pas avec moi.
BB : Ca va mal au travail?
CC : Quel travail… je travaille pas. [Ça avance pas. J’ devrais nettoyer à temps plein parce que j’arrive pas à faire rien d’autres. Au moins je me ferais plus d’argent.
BB : On n’a pas besoin de plus d’argent.]
CC : Je continue de croire que si j’suis autant paralysé(e), c’est parce que je me sens… pogné(e). J’ai toujours travaillé. Avant que je te rencontre, je travaillais tout le temps.
BB : [T'es fou (folle)]
CC : Je fais rien pour moi-même. Je m’assois dans le studio. Y arrive rien. [Parce que rien est supposé d’arriver. Je suis nourri(e), logé(e), pourquoi est-ce que j’aurais besoin de travailler?]
BB : La plupart des gens seraient heureux de pas travailler. [J’comprends pas pourquoi tu insistes pour “aller faire des ménages”? ]
CC : J’ai besoin de gagner mon propre argent.
BB : C’est juste de l’argent. Je considère ça comme un investissement. Quand tu seras célèbre, j’prendrai ma retraite et j’dépendrai de toi.
CC : Dépendant(e). C’est ça. Je me sens dépendant(e).
BB : Écoute, tu veux-tu aller courir un peu?
CC : Je vais faire le ménage.
BB : On peut aller à la mer. L’air va te faire du bien. Je suis certain (e) qu’il a cessé de pleuvoir.
CC : Vas-y-toi.[J’devrais essayer de travailler un peu.]
•
BB : [Avec les mauvaises nouvelles qu’on a du G8 aujourd’hui…m’écoutez-vous?]
AA : Laissez-moi voir la plume.
BB : Encore ça.
AA : Laissez-moi la voir. La mienne est exactement – c’est ma plume.
BB : Est pas unique.
AA : Qu’est-ce que vous en savez?
BB : Elle a été achetée dans une boutique.
AA : Laquelle?
BB : Il (elle) voulait pas me le dire.
AA : J’ai utilisé cette plume pendant des années. J’connais parfaitement son poids dans ma main. C’est quelqu’un d’important pour moi qui me l’a donnée. Je signe mes contrats avec cette plume. J’écris toutes mes correspondances personnelles avec cette plume. Alors, je veux savoir qui vous l’a ‘’achetée’’.
BB : Pourquoi ‘’acheté’’?
AA : [Quand je vous ai demandé depuis quand vous l’aviez, vous ne m’avez pas répondu. Le silence.
BB : C’était quand ça, il y a deux mois?]
AA : Votre silence vous rend coupable.
BB : C’est pas croyable.
AA : Je sais que cette plume là est à moi. Je sais que c’est ton salaud (ta salope) qui l’a piquée sur mon bureau…
BB : Ça suffit!
AA :[ …et te l’a donnée.]
BB : Redonnez-la moi.
AA: [Ça, c’est si vous ne me l’avez pas piquée vous-même.]
BB : Et sortez de mon bureau.
AA : Avec qui pourriez-vous bien sortir et qui pourrait vous acheter un stylo aussi luxueux?
BB : Donne-moi le stylo.
AA : Sinon quoi?
BB : Fais pas le con.
AA : [Viens le chercher. Je sais ce que les choses valent.
BB : Comment pouvez-vous savoir qu’il vaut cher?
AA : La personne qui me l’a donné est une personne irréprochable – Lâchez- le! Lâchez!]
BB : C’est mon stylo.
AA : Redonnez-la-moi.
BB : C’est quoi votre maudit problème ?
AA : Vous êtes en possession d’une propriété volée.
BB : Nos compagnies font des affaires, vous voulez que tout ça s’écroule? Parce qu’on pouvait pas s’entendre parce que vous faisiez une fixation sur un crayon?
AA : Ma plume.
BB : Si c ‘était pas un cadeau, j’vous l’donnerais ben.
AA : Vous n’avez aucun droit de me donner ce qui est déjà à moi.
BB : Juste pour que vous vous la fermiez. Lundi, je vais en parler à mon patron parce qu’un de nous deux doit débarquer de ce projet et vaut mieux vous que moi. Je lâcherai pas cette opportunité parce que vous êtes paranoïaque. (AA sort ) Oh c’est bien ça, c’est ça qui va régler le problème, bye et bon week-end .
•
AA au téléphone : Ok là, c’est le dernier message que j’te laisse. T'es probablement là, en train de voir sur l’afficheur que c’est moi qui appelle et tu réponds pas. Donc, c’est le dernier message. C’est fini. Ok? Je t’ai laissé toutes les chances pour revenir [vers moi]. Tu as fait la plus grosse erreur de ta vie et je t’ai donné toutes les opportunités pour changer ça. Mais tu refuses. Donc je t’appellerai plus. Je passe à autre chose. Tu m’entends? J’peux pas travailler. J’peux pas dormir. Tu m’troubles. Et le stylo, c’est drôle? le stylo que tu m’as donné? Il a disparu en même temps que toi. Tu l’as-tu repris? C’est-tu comme du vaudoo? T’es-tu rentré subtilement dans mon bureau pour le reprendre, en même temps que tu quittais ma vie avec une petite partie de toi pis moi? J’peux pas passer par-dessus ça. J’me sens incomplet(e). Alors tout ce que je veux de toi, c’est que tu me rappelles pis que tu me dises si c’est ça que t’as fait. Ok? Peux-tu avoir la gentillesse de faire ça? Peux-tu m’appeler pour que je me fixe et que je puisse passer à autre chose? Parce que -
CC [Entre
CC : Oh, excusez-moi.
AA : (Raccroche) Qu’est-ce que vous faites ici?
CC : Je suis la femme de ménage (l’homme de ménage).
J’pensais pas que quelqu’un était encore ici, il faisait noir.
AA : J’ai pas besoin de lumière pour faire des appels. Gaspillage d’électricité.
CC : J’vais revenir.
AA : Non, je pars. J’ai fini. Vous pouvez nettoyer. Nettoyez, allez-y, nettoyez-moi ça!
(Il sort)]
•
(un peu de musique dans le noir)
DD : [Haydn.
CC : Quoi?
DD. C’est du Haydn. Une des dernières choses qu’il a écrite. Je l’ai joué pour ma thèse. J’ai fait un récital complet avec ses dernières compositions - même si personne ne sait vraiment lesquelles sont les dernières, parfois elles étaient simplement publiées en dernier et c’est ce que mon mémoire doit déterminer, stylistiquement, laquelle était probablement, dans la réalité, la dernière pièce de piano. J’ai fait la dernière pièce de Beethoven, la dernière de Hayden, la dernière de Schubert, la dernière de Liszt. J’en ai terminé avec l’Art de la Fugue, la dernière fugue est inachevée, elle finit, c’est tout. Tu joues et tu arrêtes. Un arrêt de mort. Tu termines même pas la cadence. J’pense que c’est la plus belle chose que j’ai jamais entendue et j’espère sincèrement que ça ne t’emmerde pas trop.
CC: Désolé(e).
DD : J’adore comment ton “désolé(e)” sonne comme une insulte. Qui t’essaies encore d’appeler?
CC: (au téléphone) Tout est toujours occupé, Tous les numéros que j’appelle.
DD : Peut-être qu’ils disent quelque chose à la radio sur les téléphones.
CC : J’ai pas de radio.
DD : Qu’est-ce qui est arrivé à celle qui était…
CC : J’m’en suis débarrassée. Pas de télévision, pas de radio, pas de journaux. Je vais même plus sur Internet. C’est juste des futilités, rien d’autres que des conversations futiles. J’ai juste gardé le lecteur CD.
DD : Et ton mari (ta femme) est d’accord avec ça?] Allez, reviens dans le lit.
CC : J’suis trop stressé(e). J’vis dans l’angoisse. J’ai toujours eu ce sentiment d’angoisse.
DD : Une angoisse comme si ton cher mari (ta chère femme) rentrait à la maison sans prévenir?
CC : Non, ça, ça serait une bonne chose. Je veux qu’il (qu'elle) arrive pis qu’il (qu'elle) nous voit. Peut-être que ça nous brasserait un peu, parce qu’on a besoin d’être brassé.
DD : C’est-tu ça que je suis? Quelque chose pour te brasser un peu? Une secousse pour ta relation autrement stable?
CC : Ouais, c’est ça.
DD : C’est pas comme si ça me dérangeait. J’aime bien être ta secousse.
CC : [Il n’y a toujours rien. Tout est occupé. Il y a définitivement quelque chose qui va pas avec les téléphones.
DD : Si tu voulais vraiment te couper du monde, t’aurais plus de téléphone.
CC: J’ai besoin de communiquer avec des gens. Seulement pas avec un monde anonyme.
DD : Je commence à travailler à une heure. Je nettoie chez Mme Dukowitz, as-tu déjà été chez Dukowitz?
CC : Je fais seulement les tours à bureaux.
DD : Sa maison est immaculée, tu pourrais manger sur le plancher. Mais Madame insiste pour que tu frottes tout, elle te suit de pièce en pièce, regardant tes moindres gestes comme une accro de la propreté. Et elle déteste vraiment quand tu arrives une minute après l’heure de son horloge qui n’a vraiment pas la bonne heure. Donc, ça te tenterait pas de retourner au lit avant que je parte?]
CC : Encore une sirène, c’est quoi toutes ces sirènes ce matin? Ah oui…c’est pour toi.
DD : C’est quoi ça?
CC : C’est notre anniversaire.
DD : Veux-tu rire de moi? Tu marques l’anniversaire de notre relation ? C’est quoi ça?
CC : Ouvre-le.
DD : J’l’ai ouvert et j’ sais toujours pas c’que c’est.
CC : C’est un presse-papier. J’pense que ça vaut vraiment cher.
DD : Tu penses?
CC : Je l’ai volé dans le bureau d’un avocat. Un vrai enculé.
DD : J’ai pas beaucoup de papier chez moi. Mais merci. Oh shit!
(BB apparait dans le cadre de porte, couvert(e) de poussière et de papier.)
CC : Tu… Tu es…On était juste… hmm...
BB : [J’étais dans son bureau. J’lui expliquais qu’on devait trouver une façon de s’entendre. Et en plein milieu de ma phrase, tout a explosé.] Il y avait de l’eau et de la fumée partout en même temps. Et du papier. [Je saignais un peu mais pas tant que ça. Mais lui (elle) saignait beaucoup. J’ai essayé de faire quelque chose mais il n’y avait rien que je pouvais faire.] C’était vraiment calme. Tout le monde partait. Alors j’ai simplement suivi le monde dans les escaliers. Il y avait beaucoup de marches. Je voulais retourner dans mon bureau mais il y avait toute cette eau, et cette fumée, et ce papier. Alors je suis revenu(e) à la maison.