Au début de la session, l’idée de la réécriture était assez floue. Nous ne comprenions pas vraiment ce que nous allions faire. Pour les premières semaines, nous nous sommes contentés d’écouter les explications de Stéphane sur Shakespeare, Hamlet et son origine. Nous avons aussi passé plusieurs cours à écouter un film intitulé… Hamlet (quelle originalité!) de Kenneth Branagh. L’avantage de cette version, comparativement aux autres, c’est qu’elle reprenait tout le texte de la version Folio de Hamlet. Bref, on voulait nous remplir la tête d’idées et de connaissances. À plusieurs reprises, on nous a répété : «Bourrez-vous le crâne, oubliez tout et faites n’importe quoi!» Après ces cours magistraux, nous commencions à avoir hâte à la phase «faites n’importe quoi».

Vers la fin septembre, Stéphane est arrivé en classe avec une pile de feuilles jaunes : les fragments. On nous expliqua que le texte avait été séparé en vingt-cinq parties à peu près égales. Les séparations n’avaient pas été nécessairement effectuées à la fin d’une scène, si bien que deux personnes pouvaient se partager le début et la fin de la même scène. Le texte original anglais avait été traduit en français par nul autre que… Google! Comme ce traducteur est des plus imprécis, la partie originale du premier quarto que nous avons reçu était à la limite du compréhensible. Heureusement que nous connaissions assez bien l’histoire, car on nous avait interdit d’aller relire le texte de Shakespeare. Le but derrière tout cela était de nous obliger à prendre du recul afin d’écrire notre propre Hamlet. Malgré le caractère peu orthodoxe de cette méthode de traduction, elle fut fructueuse.

J’ai reçu le deuxième fragment de ce qui allait devenir la référence du XXIe siècle en matière de réécriture de Shakespeare (bon, j’en mets peut-être un peu trop, mais à peine). Ce fragment contenait la fin de la scène un et le début de la scène deux de l’acte un. Il commençait tout de suite après la question de Marcellus qui se demande ce qui se passe au Danemark et pourquoi tout le monde travaille sans relâche. La réponse de Horatio sert de mise en contexte pour le spectateur. Il explique de quelle façon Hamlet père a acquit des terres du roi de Norvège jadis, lors d’un combat. Fortinbrasse, le fils du roi battu, veut sa vengeance et menace donc le royaume du Danemark. Puis le fantôme apparaît, et Marcellus et Horatio décident d’aller en avertir Hamlet. Dans la scène deux se déroule le bal qui suit les noces du roi Claudius et de la reine Gertrude. Il y est question de Fortinbrasse et de Laertes, qui demande à pouvoir retourner en France.

Après avoir lu (difficilement) mon fragment. Je me demandais comment je pouvais écrire n’importe quoi tout en conservant les idées de base. La scène entre Marcellus et Horatio est plutôt drôle ou en tout cas, peut facilement être jouée de manière comique. En effet, Marcellus devrait être au courant de ce qui se trame au Danemark. Il est facile de le voir comme un personnage un peu niais. J’ai donc décidé d’écrire une scène comique. La traduction Google m’a facilité la tâche avec ses mots inventés et ses tournures de phrases impossibles (par exemple, le coq qui chante dans le texte de Shakespeare est devenu Speake Cocke, trompettiste officiel de la cour dans mon texte). Ainsi, j’ai décidé, pour la scène un, de conserver la forme en vers. Je trouvais que cela donnait un bon rythme à la scène. De plus, l’idée de dire des mots inexistants dans une forme «noble» rendait le texte plus comique encore. Cela ressemble à une forme de langage élevé, mais bas de gamme. Un peu comme si Marcellus et Horatio essayaient de parler dans un langage que, de toute évidence, ils ne maîtrisaient pas.

Pour la scène deux, cette forme de langage ne fonctionnait plus. Il n’était pas plausible que des gens de la cour parlent comme les gardes. J’aurais pu nettoyer le texte de Google et les faire parler en «vrais» vers, mais cela se serait trop rapproché de Shakespeare. Celui-ci est incontestablement meilleur que moi pour écrire de cette façon. J’ai donc décidé d’emprunter une forme que ce grand auteur ne maîtrise absolument pas : l’interview radiophonique! M’inspirant librement de Christiane Charette, j’ai transformé Laertes en animateur de radio et le roi Claudius et la reine Gertrude en interviewés. Voltemar et Cornelius, ambassadeurs du Danemark, ainsi que Polonius, le père de Laertes, sont présents en régie. Cette émission prend les allures d’une adresse à la nation de la part de Claudius, devenu roi depuis peu.

Dans la scène un, le défi rencontré, comme plusieurs autres de mes collègues, était d’instaurer la convention du fantôme. Il est facile de faire des blagues lorsque celui-ci apparaît. Mais si les personnages n’y croient pas, le public ne le prendra pas au sérieux. Si c’est le cas, toute la pièce de théâtre en souffre. Pourquoi Hamlet serait-il si tourmenté à ce point par un fantôme qui n’est pas du tout crédible? C’est pourquoi Marcellus et Horatio en viennent à bégayer et à chercher leurs mots en sa présence. Le public doit ressentir leur désarroi et accepter cet élément de la pièce. Shakespeare ne disposait pas de beaucoup de choix pour transmettre le message d’outre-tombe de Hamlet père. Il a choisi le moins pire et fait en sorte que ses personnages y croient tellement que le public adhère à cet élément fantastique de la pièce. Nous devions faire de même.

Dans la scène deux, le plus grand défi était de montrer le roi comme un être dangereux capable d’aller loin pour accomplir ses desseins. Dans la première version, l’aspect comique enlevait de la crédibilité au roi qui passait alors pour un imbécile. Pourquoi le craindre? Il a donc fallu le rendre plus menaçant. Puis peu à peu, son interview avec Laertes s’est transformée en adresse à la nation, de la même manière qu’un président nouvellement élu. On devait sentir qu’il était tout à fait apte à diriger le royaume et à faire face aux ennemis. Dans les premières réécritures, la discussion était trop rapidement portée sur Hamlet, à qui Claudius avait volé la couronne. Dans la version originale, toutefois, on parle de Fortinbrasse, puis de Laertes et finalement de Hamlet. Dans mon fragment, il n’est même pas question de Hamlet. Il est présent seulement au fragment trois. Suivant les conseils de Linda, j’ai décidé d’en parler quand même, afin de le présenter un peu avant que le public ne découvre un Hamlet des plus étranges, celui imaginé par Catherine Girardin. Ainsi, ce personnage n’est pas physiquement présent dans la scène, et il n’en est pas question durant l’émission radiophonique. Mais Laertes en parle après pour alimenter la conversation. Erreur! Ce n’est pas un sujet qui plaît tellement à Claudius. Imaginez : vous venez de tuer un roi et de voler la couronne à son fils, voudriez-vous réellement parler de celui-ci? Même si Claudius tente de faire comme si de rien n’était, le malaise s’instaure. Il faudrait le sentir. Laertes a fait une erreur, et il le sait. Cela explique peut-être pourquoi on quitte le studio rapidement après la réponse du roi.

Une des parties les plus intéressantes du processus a été le travail en équipe qui permettait de partager et valider ses idées. J’ai eu la chance d’être jumelé avec Fred. Il m’a fait part d’excellentes idées qui m’ont permis d’enrichir mon texte. Il a vu, dans la première portion du fragment, un lien avec en attendant Godot. En effet, deux simples d’esprits (ils en ont l’air dans mon fragment en tout cas) qui attendent la venue d’un possible fantôme, cela fait penser à Vladimir et Estragon. De là est né l’échange au début («Tu ne me crois pas?», «Oui je te crois, mais…», etc.) Initialement, cela se répétait à deux reprises. Après la lecture publique, je me suis rendu compte que redire cepassage ralentissait le rythme. En le jouant, peut-être nous rendrons-nous compte que deux fois, c’est plus intéressant. Une autre idée de Fred a été d’avoir la reine au côté du roi dans le studio plutôt que de la laisser dans la régie. Ainsi, nous pouvions voir un peu la dynamique amoureuse entre ces personnages. Le reine, en entrevue, s’en tient à un discours politique simple, digne des meilleurs politiciens à la langue de bois : «Tournons-nous vers l’avenir.» Sait-elle ce que Claudius a fait? Je ne sais pas, mais j’en doute. Ce que je sais toutefois, c’est qu’elle ne veut pas revenir sur le passé. Sans avoir commis le meurtre, elle s’est tout de même remariée peu de temps après, ce qui n’est pas nécessairement bien vu, surtout de la part de Hamlet.

Enfin, le grand avantage de travailler à deux, est de pouvoir se mettre le texte en bouche. Nous pouvions bien évaluer si notre texte était fait pour être dit et non pas trop littéraire. En ce sens, travailler avec un comédien était un avantage. Les lectures au fil de la session avaient aussi le rôle de nous faire entendre notre texte. Le personnage de Laertes a pris une dimension comique et intéressante avec le faux accent français (ou plutôt l’accent français en devenir) qu’a su lui donner Fred. J’adore quand Laertes dit «La Royauté Today» à la française!

J’espère sincèrement qu’au fil de la prochaine session, le texte continuera d’évoluer pour devenir de plus en plus jouable et intéressant. J’ai aussi hâte de voir les nouvelles dimensions qu’il prendra en étant mis en scène, surtout avec l’espace onirique qui devrait entourer l’espace réel. Amusez-vous bien!

Éditer page - Historique - Imprimable - Changements récents - Aide - RechercheWiki
Page last modified on 16 décembre 2008 à 10h24