La session d’automne en compagnie du « Collectif Hamlet » fut pour moi le tumultueux théâtre de nombreuses remises en question mais aussi de grandes découvertes personnelles. Ayant passé au fil de mes réécritures d’un style particulier à un autre complètement différent, il est intéressant de voir comment les premières versions du texte sont peut-être présentes dans la version finale, comme des fossiles ayant imprimé durablement leur traces dans le sous-sol d’une carrière. Voici donc un panorama du chemin par lequel je suis passé pour arriver à ma dernière réécriture.

Extrait de ma première version du fragment # 4

Parce que parler de tout mon processus créatif sans faire mention de ma première version n’aurait pas été honnête, voici un extrait de cette première voie d’exploration dans mon adaptation du fragment # 4. À noter que les noms d’Hamlet et de Marcellus ont ici changés pour devenir respectivement Junior et Martin :

Dans une vieille cabane d’enfant nichée dans un gros arbre mal en point. Junior, 13 ans et deux fois redoubleur, est assis dans un coin, seul. Perdu dans ses pensées, il brasse machinalement un objet dans ses mains. Ce dernier ressemble à une grosse boule de billard numéro huit possédant une petite fenêtre de laquelle des réponses prophétiques apparaissent parfois. Entrent Horatio et Martin, des enfants du quartier, ayant environ le même âge.

HORATIO Eille Junior ! JUNIOR Appelle-moi pas Junior. C’est trop laitte. Mon nom maintenant c’est Dan. HORATIO Ok Dan. Tu devineras jamais ce que j’ai vu hier soir. MARTIN Moi aussi je l’ai vu. HORATIO Ton popa en personne. JUNIOR Hein ? Vous avez vu mon père ? HORATIO Écoutes bien comment c’est arrivé Par ce que je te le répéterai pas deux fois Pis oublie pas que c’est nous deux qui l’ont vu Tes deux meilleurs chums que tu peux truster.

Après avoir reçu la version charabia du traducteur automatique, j’ai d’abord retranscris dans mes mots l’essence de chacune des répliques, ce qui amena inévitablement des québécismes et des expressions populaires de toute sorte. Cette première version « à la québécoise » de la scène me donna envie de la développer. Hamlet devint alors le fils d’un ancien chef de groupe de motards, Horatio et Marcellus ses amis du quartier avec qui il jouait dans la ruelle (peut-être avec Laertes, pourquoi pas ?).

L’idée de rajeunir Hamlet et ses amis m’est venue aussi à ce moment-là. Face à la violence et l’hypocrisie de la génération de leurs parents, ces jeunes se demandent s’ils devront devenir comme eux pour survivre dans le monde, ou s’il n’y a pas une autre alternative à cette suite sans fin de sang pour le sang. Devront-ils sacrifier leur innocence pour prendre la place de leurs aïeuls ? Les longs monologues d’Hamlet me donnaient aussi l’impression qu’il possédait un monde intérieur très vaste, comme celui d’un enfant qui s’imagine un univers entier juste en jouant avec quelques jouets.

Extraits du « défouloir »

Mi-octobre, après les commentaires des professeurs sur nos premières réécritures

Ma réponse : mais comment garder alors cette pureté de l’enfance qui prend les choses vraiment au sérieux avec ses ressources d’enfant ? Pour eux, [le fait que Hamlet père est été fait emprisonné par Claudius] c’est aussi sérieux qu’un meurtre. Leur univers ne tourne qu’autour de ça. Leur univers tourne autour des motards, ils sont donc témoins de la violence quotidienne. Mais à son âge, il ne peut prétendre ravir la place alpha. En plus, son père vivant, pourquoi c’est Hamlet fils qui devrait faire la sale job ?

Fin octobre, avant la remise de la deuxième réécriture

Un peu comme la mise en scène de Dans la solitude des champs de coton de Patrice Chéreau. Dans un lieu indéfini mais que tout le monde reconnaît. Glauque, nocturne, intemporel. C’est l’intemporalité que je veux atteindre. Hamlet n’a pas d’âge ! Dans la vie comme dans la pièce. En tant que personnage, il ne vieillit pas. En tant qu’œuvre, il ne disparaît pas. En tant qu’homme, il n’est pas. Il faut qu’il y ait un trouble quant à son âge réel. C’est un homme de 30 ans qui réfléchit comme s’il en avait 45 mais qui agit comme un garçon de 15 ans. Il a le même nom que son père. Est-il son père aussi ? Doit-il l’être ? Horatio croit avoir vu un fantôme du père d’Hamlet. Pourrait avoir vu Hamlet fils aussi. Hamlet est-il déjà dead ?

1. Horatio est le témoin de l’histoire d’Hamlet, celui qui doit raconter la tragédie une fois qu’elle s’est produite. L’aurait-il déjà vécu ? Doit-il la revivre, la raconter à nouveau et pour toujours ? Est-il pareil à un prophète cru de personne, comme Cassandre dans les légendes grecques ? (Danger : Horatio risque d’être alors un niveau au-dessus d’Hamlet, à l’égal du fantôme)

2. En même temps, il y a la piste de l’actualisation, en gardant l’idée qu’Hamlet Junior, même s’il n’a pas 13 ans, est le fils d’un chef de motard qu’on a putsché. Horatio l’a vu dans le coin, alors que tout le monde pense qu’il est encore dans le coma. Encore en jaquette d’hôpital et avec un bout de soluté dans le bras, il erre en attendant son fils. Oui, il vit, mais certainement pas comme avant. Il n’est plus qu’une bouche, qu’un souvenir, qu’une rancœur : le salaud de Claudius lui a versé dans l’oreille (ou dans la bouche) un poison (ou une puissante dose de drogue) qui aurait dû le terrasser. Son fils doit le venger. Après son récit, il disparaît à nouveau dans la nature par un moyen ou un autre. À partir de ce moment, Hamlet ne peut pas ensuite douter que c’était son père, mais il peut douter que le vieux ait été capable de raconter la vérité. Comment croire un ex-comateux encore dans les vapes ? Ça lui donne aussi le prétexte nécessaire pour renverser Claudius et prendre sa place. Mais se sent-il prêt à prendre le contrôle d’un groupe de motards ? Les autres croiront-ils que son père s’est réanimé alors qu’il est introuvable ? Claudius et Gertrude seront au moins au courant qu’Hamlet père a disparu de l’hôpital, mais qu’ont-ils à craindre ? (Danger : diminuer la force et l’importance du personnage de Gertrude). Pas en gros québécois en tout cas !

L’hésitation entre les deux styles est encore présente dans ce dernier extrait, mais c’est peut-être justement parce que j’étais en train de faire le deuil de cette première version. À force d’y trouver des problèmes difficilement surmontables pour la raccrocher aux réécritures des autres étudiants, j’ai fini par accepter d’aller dans une autre voie, dont j’ai découvert ensuite toute la richesse.

17 novembre

Cher Journal, C’est aujourd’hui que j’ai remis ma troisième réécriture de ma scène. La décision de le rendre plus proche du texte initial et de mélanger l’écriture de Wajdi Mouawad ou de Larry Tremblay avec l’espace mis en scène par Patrice Chéreau dans La solitude des champs de coton marche bien et je m’y plais. Les vers courts et l’absence de ponctuation est une forme qui rend bien la fragilité et l’ébranlement des personnages. Horatio a vu un fantôme, mais il se doit d’aller en parler à son meilleur mi. En plus, il a la certitude (ou au moins le pressentiment) que lui en parler le mènera à sa perte. Mais le pauvre Horatio est obligé de le faire. Hamlet n’ose d’abord pas le croire. Au début, il ironise, il ricane, il banalise. Mais voyant l’insistance et les détails que donne son fidèle ami, il se grise de l’impossible retrouvaille : « Un fantôme à Elseneur ? Alors tout est possible. Rien ne va plus ». On nous a demandé de nous métisser davantage dans nos écritures pour cette troisième mouture. La psychothérapie (avec Édith comme docteur) qui a été nécessaire que je suive pour réaliser la version précédente a porté ses fruits pour mon écriture, mais puisque sa scène à elle était presque complète dès la première lecture, le temps alloué à la révision de son texte fut beaucoup plus court. J’étais avec mes problèmes, mes bibittes. Peu de place pour Édith là-dedans. On a bien essayé de coécrire ensemble en réécrivant la scène de l’autre, mais lorsque j’ai reçu la version d’Édith de mon fragment, je n’ai accepté que quelques petites modifications par rapport à mon texte original. Édith prône l’efficacité, le rythme et l’économie de mot. Moi, je préfère garder des parcelles de poésie dans le rythme déjà effréné, histoire de ne pas sacrifier tout au profit de la rapidité. Deux visions. Un texte.

Revenons à nos moutons : lundi le 17 novembre à 13h58, deux minutes avant la remise. Dans le couloir, je croise Édith. Nous jasons. Elle commence : - Et puis, as-tu vu ma version de ta scène que je t’ai envoyée par email ? - Oui, bien sûr. Je l’ai imprimé et j’en ai pris en compte pour ma nouvelle version. - Ah, parce que j’ai regardé sur le site Internet ta dernière version et je crois qu’il y a un problème. Je n’ai surement pas vu celle où tu as incorporé mes modifications. - Non, non. C’est bel et bien ma dernière version que tu as vu. - … Mais tu n’as rien pris de mes idées ? - … Ben je crois que oui. J’en ai pris compte. - Non. Tu n’as rien pris en compte ! Décidemment, ce n’est pas qu’à Elseneur qu’il y a des froids.

Heureusement, je peux vous rassurer qu’Édith et moi avons trouvé un accord et que je me suis montré par la suite beaucoup plus ouvert à ses commentaires et corrections. La voir à la lecture publique finale interpréter le Hamlet de ma scène a été pour moi le signe en quelque sorte que nous nous étions réconciliés.

Ma dernière version

Malgré ces remous et ces changements drastiques, je suis finalement parvenu à donner une forme à ma réécriture qui s’harmoniserait mieux avec le reste de l’adaptation du Collectif. Comme je le mentionnais dans des extraits de mon « défouloir », j’ai opté pour une voie plus intemporelle et littéraire, me rapprochant d’écritures comme celles de Wajdi Mouawad ou de Larry Tremblay.

Horatio vient de voir un fantôme, il en a le souffle coupé. En bon ami, il veut aller avertir Hamlet, mais il est encore sous le choc de cette visite surnaturelle. L’aspect prophétique n’est peut-être pas totalement absent non plus, Horatio sentant que la visite soudaine du fantôme du père d’Hamlet signifie qu’il y aura sans doute de grands bouleversements dans le château, probablement aux conclusions funestes. Il hésite à donner à son meilleur ami la clé qui ouvre cette boîte de Pandore. Mais après avoir hésité, il lâche le morceau. Il avoue tout et se garde d’empêcher Hamlet de rejoindre sa destinée, peu importe les conséquences de cette rencontre. Dans un sens, Horatio est aussi damné qu’Hamlet. Peut-être même plus, puisqu’à la fin de l’histoire lui n’aura même pas la mort comme amnésie rédemptrice. Il devra vivre avec cette conscience et cette histoire.

Marcellus est un autre ami d’Hamlet qui lui aussi a vu le fantôme. Très peu bavard dans la version de Shakespeare et n’interagissant dans mon fragment que pour corriger Horatio sur l’estimation du temps que prend le fantôme avant de réapparaître, l’idée m’est venu qu’il pouvait compter jusqu’à cent, histoire de tester lui-même combien de temps cette tâche demande-t-elle pour être accomplie. Puisque mon fragment suit celui de Catherine Girardin, hallucinant de monologues éclatés et utilisant outrancieusement l’anglais, j’ai décidé de garder un peu de la trace « anglophone » en faisant dire le décompte dans la langue de Shakespeare.

Hamlet est d’abord heureux de voir ses amis, puis il se met à douter de leur sérieux lorsqu’ils se mettent à lui raconter leur rencontre avec l’au-delà. Mais la panoplie de détails crédibles qu’Horatio donne et surtout le comportement que ses amis ont à ce moment-là le convainc peu à peu de la véracité de leurs propos. Il ne croit pas encore totalement à leur histoire farfelue, mais se grise de l’impossible retrouvaille. Si le fantôme de son père est parmi eux, c’est qu’on peut maintenant tout espérer. La fin du monde arrivera sans doute bientôt. Pourquoi pas puisque tout est si pourri.

En bonus : Mauvaises idées d’adaptation pour Hamlet

WHERE’S WALDO AT ELSINORE ? Thème des tableaux : les remparts (avec des fantômes partout), la cour pendant le mariage de Claudius et de Gertrude, le théâtre pendant la représentation de La Souricière, la chambre de la reine (avec des gens cachés derrière les rideaux), le bateau vers l’Angleterre attaqué par les pirates, le cimetière et les fossoyeurs, l’hécatombe suivant la joute d’escrime…

ASTÉRIX CHEZ LES DANOIS Astérix = Hamlet; Obélix = Horatio; Abraracourcix (avec ses porteurs sur son bouclier) = fantôme d’Hamlet père; Bonemine = Gertrude; Un soldat romain déguisé en gaulois = Claudius; Assurancetourix = Polonius; Goudurix = Laertes; Falbala = Ophélie; Un centurion = Fortinbras fils; César = Fortinbras père; Armée romaine = Armée de Fortinbras…

HAMLET À MOULINSART Elseneur = Moulinsart; Hamlet = Tintin; Claudius = capitaine Haddock; Polonius = Professeur Tournesol; Gertude = la Castafiore; Ros. & Guil. = Dupond et Dupont; Fantôme = Nestor le majordome; Ophélie = Milou avec une perruque; Fortinbras = le général Alcazar…

SCOOBY-DOO ET LE FANTÔME D’ELSENEUR La bande à Scooby réussit à la fin de l’épisode à capturer le fantôme qui les a tant effrayés et à le démasquer : il s’agit de nul autre que Fortinbras fils. Ce dernier souhaitait faire déguerpir les actuels propriétaires du château pour se l’approprier et le rénover en parc d’attraction.

À venir : HAMLET – STAR WARS…

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