Dans le cadre du cours Collectif Hamlet, j’ai été assignée à l’écriture du septième «fragment». Il s’agit de la scène où Hamlet parle au spectre de son père. Ce dernier lui apprend que Claudius est coupable de sa mort. Avant de disparaître, le spectre lui décrit la scène de l’empoisonnement par l’oreille au moment où il dormait dans son verger. Aussi, il met en garde son fils afin qu’il ne conspire pas contre sa mère. Suite à cette révélation bouleversante, Hamlet a une courte introspection. Du moins, jusqu’à ce qu’Horatio et Marcellus le rejoignent sur les lieux. Ces derniers supplient Hamlet de leur dire ce qu’il a appris de sa rencontre avec le fantôme, mais ce dernier refuse. Hamlet esquive, prétextant qu’il va prier. Il fait toutefois jurer sérieusement à Horatio et Marcellus de garder le silence au sujet de l’apparition du spectre. Le fantôme réapparaît pour appuyer la requête de son fils. Voici brièvement le squelette de la scène. Quant à sa position dans la pièce, elle fait encore partie de la situation initiale. Toutefois, elle est un tremplin important pour les futures péripéties qui suivent. Je vais maintenant vous entretenir sur le processus qui a mené à l’écriture «finale» de ma scène. Pour ma première réécriture, je cherchais à faire différemment de ce que c’était réellement, tout en prenant soin d’en garder les informations cruciales. En fait, je voulais amener l’histoire autrement. C’est pourquoi j’ai éliminé l’apparition physique du fantôme, ainsi que l’excitation d’Horatio et Marcellus à savoir ce que Hamlet avait appris. Vouloir reconstruire la scène m’a amené à faire des constructions trop différentes qui n’auraient pu, d’aucune façon, s’allier aux autres fragments. Hamlet apprenait qu’il n’était pas le fils de Claudius comme il le pensait, mais bien celui d’Hamlet-père qu’il n’avait jamais connu. C’est ce que l’autobiographie de son père biologique lui révélait. Il l’avait trouvée dans le coffre arrière de l’ancienne voiture de Claudius. Ce livre racontait comment, plusieurs années auparavant, le diplomate Hamlet-père, en voyage d’affaires s’était fait enlevé par des gens engagés par son frère Claudius. Il racontait aussi comment ce dernier lui a pris sa femme, son fils et son emploi. Bref, le détour que j’avais pris annulait l’urgence de la situation qui pousserait Hamlet à se venger, réduisait les enjeux possibles avec la royauté et symbolisait la mort d’Hamlet-père plus qu’il n’en faisait un fait. La présence du livre dans ma scène donnait une parole trop littéraire et trop indirecte au spectre d’Hamlet-père. Il distanciait ce qui, initialement, devait être la parole vivante et prenante du spectre, celle qui convainquait Hamlet et les spectateurs. De plus, ma réécriture élminait un fait important : Horatio devait être au courant de l’apparition du spectre. Tout comme c’était Horatio qui amenait la drogue ( représente la folie) et que ce devait être Hamlet. Ma première réécriture avait une forme plus cinématograhique et littéraire. Je devais enlever ce qui était superflu et trop indirect dans la syntaxe de mes phrases. Je devais être plus dans l’action : «L’image est à l’anglais ce que le verbe est au français». Bref, les détours dramatiques, linguistiques et formels que j’y prenais réduisaient les enjeux dramatiques et le dynamisme de la scène. J’ai écrit ma deuxième version avec les contraintes d’une auteure mère-poule. Du moins, pour ce qui en est des répliques : niveaux de langage inégal, phrases trop longues et détours poétiques inutiles et encombrants. J’ai changé le livre pour un vecteur un peu plus directe, mais encore trop distancié; Hamlet entendait la parole de son père par la radio de sa voiture. Au moins, il le voyait par la vitre de son pare-brise. Mais encore, j’ai l’impression qu’être dans la voiture réduisait la puissance de la présence du spectre. De plus, encore une fois, je n’assumais pas qu’Horatio et Marcellus ait vu le fantôme. Pour cette raison, j’établissait qu’ils avaient en fait entendu un bout de reportage radiophonique sur la mort d’Hamlet-père. Alors qu’ils doutaient d’Hamlet sur le fait qu’il a vu le spectre de son père, ils auraient dû déjà l’avoir vu. C’était important de garder le fait que c’est eux qui l’ont vu en premier. De plus, Hamlet ne semblait pas assez ébranlé après la rencontre avec le fantôme; il ne troublait pas assez ses deux amis avec sa folie. Pour la troisième réécriture, je misais sur le direct et l’action. Ainsi, j’ai conservé les interférences et les ai transformées pour qu’elles sortent du walkie-talkie de la scène précédente. Hamlet est maintenant dehors, devant son père. La parole d’Hamlet est déconstruite, il est troublé et il vomit. J’ai repris l’idée des ordures de la scène précédente; ceci expliquait pourquoi ils n’étaient pas avec Hamlet, pourquoi leur arrivée était longue. Hamlet les blâmait pour leur retard; c’est quelque chose que j’ai essayé, mais qui n’est pas efficaces pour les enjeux de la scène. C’est sans oublier que ceci soulignais trop fortement l’erreur de Shakespeare quant à la longueur de cette nuit. Hamlet décrivait trop à ses amis la situation du Danemark. Il ne restait pas assez discret par rapport à ce qu’il venait d’apprendre. Considérant tout ceci, pour la dernière réécriture, le dialogue avec le père est plus direct et plus court. On est dans le feu de l’action, car Hamlet vient d’apprendre un secret énorme. Le spectre dit très clairement à son fils de ne pas conspirer contre la mère. Il est certain que sa culpabilité, si elle a raison d’être, lui rongera l’esprit. Le dialogue entre Hamlet et son père est prenant. Hamlet se sent très concerné par la situation. Il en veut à son oncle et à sa mère. Son corps faiblit; Hamlet vomit, parce qu’il en apprend trop en même temps. Ses pensées défilent dans son esprit à un rythme fou, jusqu’à en déconstruire sa parole. Lorsqu’il crie, c’est de désespoir, celui d’être seul avec ce lourd fardeau. Ce désespoir se transformera un peu plus tard en «to be or not to be». Devant cette situation, trop de chemins s’ouvrent devant lui : ses sentiments et sa rationalité se mélangent. La seule chose qui le ressaisit, c’est de savoir qu’il a la vérité de son père en main, qu’il y croit fermement et que son père est «avec lui». La folie d’Hamlet se pointe lorsqu’il voit un «zoziau». Selon moi, il s’agit d’un échappatoire devant une réalité trop lourde. L’arrivée de ses deux amis se fait de façon précipitée. Ces deux derniers sont contents de le retrouver, l’ayant perdu dans la bourrasque de vent qu’a provoquée l’arrivée du fantôme. Le vomi, la confusion et le rire de leur ami décontenancent les deux hommes. Ils sont inquiets. Horatio est celui qui pose le plus de questions. Marcellus, lui, constate à quel point tout est de plus en plus étrange au Danemark. Hamlet esquive rapidement leur interrogatoire; il est trop troublé pour se confier à ce moment. Il ne sait pas encore comment gérer la situation. La seule chose qu’il trouve et tient à leur dire, c’est de garder le silence par rapport au spectre de son père. Il se fie à eux plus que tout. Ce qui s’en vient pour lui, il sait que ce sera éprouvant. Trop d’informations, trop d’enjeux dans sa tête : il a besoin de repères fidèles pour se positionner par rapport à ce qui lui arrive. Les deux amis promettent sincèrement, mais le spectre croit bon de revenir pour mettre les choses au clair avec eux.

Voici pour ce qui en est de ma scène. Sachez que c’est encore un matériel de travail, qu’elle n’est pas encore figée pour autant. Quelques conseils avant de prendre la route? Plongez les pâtes dans l’eau salée… Euh…Ne réduisez pas l’importance de : l’apparition physique du fantôme, de l’intelligence d’Hamlet et de son amour pour son père, des enjeux dans lesquels il est plongé, de l’opposition qui l’habite entre l’action et la pensée, ainsi que du doute qu’il installe chez son entourage. Amusez-vous!

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Page last modified on 19 décembre 2008 à 10h00