Montréal, le 16 décembre 2008

Bonjours à vous acteurs,

Bonjour à vous qui allez jouer la scène que j’ai écrite en cette session d’automne. En travaillant sur cette scène, j’ai fait un cheminement qui, il me semble, serait intéressant que vous connaissiez. C’est dans cette optique que je vous écris.

Robert Lepage a dit qu’il recherche toujours, dans ses pièces, à implanter le bon germe de départ. Quel a été mon germe de départ? D’un point de vue anecdotique, j’ai commencé l’écriture en ayant aucun germe. Le texte de Shakespeare étant assez loin de nous, j’ai dû passer par une phase d’essai pour m’en emparer. Ensuite, dans ma deuxième version, je voulais illustrer la violence que font Rosencrantz et Guilderstern à Hamlet. Toutefois, je me suis rendu compte que cette violence n’était pas l’essence de cette scène. Il me manquait quelque chose. Dans la troisième version, j’ai renversé les choses et montré comment Hamlet faisait violence à ses amis. Toutefois, encore une fois, je m’égarais.

La violence, en tant que tel, n’est pas un germe efficace et assez précis pour cette scène. Les êtres se font certainement violence entre eux. Toutefois, ce processus passe par la surveillance. C’est ainsi qu’ils font violence à Hamlet. Inversement, c’est cette surveillance qui rendra Hamlet agressif. J’ai aussi compris, en prenant un recul par rapport à notre texte et à celui de Shakespeare, que cette scène venait mettre de la pression sur Hamlet. Selon les versions, elle représente la première ou la deuxième fois que Hamlet se fait trahir par ses amis. Cette pression, elle éclatera durant la souricière et dans la chambre de Gertrude. Toutefois, on peut se demander si elle éclate volontairement ou si Hamlet n’éclate pas malgré lui mais cela est une autre histoire.

La surveillance est alors devenu mon germe de départ pour la dernière version de ce texte. Cela me semble aujourd’hui beaucoup plus juste. Toutefois, en passant tout mon temps à chercher le germe exact, je n’ai pas pu créer autour de celui-ci ou l’amener plus loin. Je vous transmets donc la question. Comment pouvez-vous utiliser l’idée de surveillance pour pousser plus loin les enjeux du texte? Comment pouvez-vous créer avec cette idée en tête?

D’un autre côté, pour vous aider, je me suis dit qu’il serait intéressant d’expliquer où commence la scène. Le fragment qui précède cette scène est celui où Ophélie rencontre Hamlet pour tenter de le faire parler sur sa folie. Dans les différentes versions de Shakespeare, Ophélie est l’instrument de son père et de Claudius. Ils l’utilisent pour vérifier les sentiments d’Hamlet. Toutefois, on peut aussi déceler en arrière plan le désir d’Ophélie de connaître les sentiments de son prétendant. Hamlet, quant à lui, ne connaît pas le stratagème qui est en train d’avoir lieu. Il ne voit alors Ophélie que comme une fille servile qui l’a trompé. C’est ce malentendu qui crée tout le drame.

Dans notre version, nous avons poussé plus en avant les désirs d’Ophélie. Elle peut exprimer ses désirs plus ouvertement car la caméra ne fonctionne pas. Nous avons donc montré la vie intime d’Hamlet et Ophélie que Shakespeare gardait constamment caché. Cela fait d’eux des êtres beaucoup plus contemporains. Toutefois, cela met aussi Hamlet dans une situation plus complexe. La supposée tromperie d’Ophélie devient un affront encore plus important vu qu’elle a exprimé ses désirs ouvertement. On ne parle plus d’un refus galant de recevoir les lettres mais plutôt d’une déclaration d’amour et de désir. Les enjeux sont directement posés sur la table. Hamlet en est donc encore plus chamboulé.

C’est dans cet état qu’il entre dans la scène. Toutefois, deux questions nous sautent aux yeux. Tout d’abord, après avoir vécu une telle situation, peut-il encore douter? Le doute est-il encore possible? Il me semblerait que le doute a quelque peu disparu dans notre version d’Hamlet. Il semble avoir laissé sa place à un pot-pourri rassemblant la souffrance d’Hamlet et les perversions de la famille Hamlet /Gertrude /Claudius. Il me semble que c’est la réponse que nous avons donnée à cette question.

En second lieu, Hamlet peut-il être fort ou décidé? Cette question est aussi fondamentale dans cette scène car la réponse affectera sa relation avec ses traîtres d’ami. La force d’Hamlet est-elle brute? Se cache-t-elle dans sa folie? Dans son intelligence? Peut-il alors confronter ses amis? Encore une fois, nous semblons avoir choisi, en groupe, une solution. Hamlet n’est pas fort ou décidé. Les choses lui tombent dessus. Il se laisse bercer par les évènements qui arrivent dans sa vie. Nous avons poussé cette idée jusqu’à dire que l’idée de la souricière ne vient pas de lui.

Toutefois, dans cette scène, Hamlet trouve une certaine agressivité. Il maltraite un peu les trois hommes. Il se met en colère. Peut-il se le permettre car ce sont des serviteurs? Il reste quand même que Rosencrantz et Guilderstern sont ses amis. En ce sens, je dirais que Hamlet fonctionne à l’honneur. Il respecte tous les gens qu’il rencontre, que ce soit des serviteurs ou des riches. Toutefois, si les gens ne méritent pas son respect ou s’ils le trahissent, il saura être en colère. C’est ainsi qu’il devient agressif envers Polonius, qu’il croit être un trompeur, et Rosencrantz et Guilderstern qui le trahissent.

Bon, trêve de bavardage, passons à la scène. Comme je l’ai dit plus tôt, elle nous montre comment Polonius et le tandem Ross/Gill viennent, chacun leur tour, remettrent de la pression sur Hamlet désemparé. Il est important de comprendre que c’est le rôle de la scène. En même temps, Hamlet leur répond sèchement, que ce soit masqué par sa folie ou non. Ses réponses ne semblent pas contrôlées.

Rosencrantz et Guilderstern ont été invité par la reine et le roi pour en apprendre plus sur la situation de Hamlet. Ils doivent garder cette mission en tête. Hamlet, de son côté, tente de comprendre ce qui lui arrive et il le fait avec vigueur. C’est la confrontation de ces deux volontés qui structure la deuxième partie de la scène.

Quant à Polonius, son désir de connaître ce qu’Ophélie a remis à Hamlet sera repoussé par un Hamlet incompréhensible et bizarrement agressif.

Finalement, cette scène doit préparer le changement de Rosencrantz et Guilderstern en animal. Toutefois, ce n’est pas la volonté ou la colère de Hamlet qui modifie les deux personnages, comme je le pensais au départ. C’est simplement un changement dans sa vision des choses. Au début, Rosencrantz et Guilderstern sont encore dignes d’être des humains car ils restent les amis de Hamlet. Toutefois, quand ce dernier apprend leur trahison, on les voit pour la première fois comme les outils de Claudius. C’est ce changement qui vient les modifier. C’est en ce sens que j’ai rajouté un extrait mélangeant « En attendant Godot » et le « Rosencrantz et Guilderstern sont morts» de Tom Stoppard. Cette scène est pour eux un moment de transition entre ces deux positions.

J’espère que cette lettre peut vous être utile. J’ai voulu ainsi vous transmettre en quelque mot une partie du travail que j’ai fait. Il m’a fait un grand plaisir de travailler sur cette pièce et j’espère qu’il en sera de même pour vous.

Luc Philippe Filiatrault

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Page last modified on 16 décembre 2008 à 10h53