Rythmique de la scène : La scène 19 se place juste après la mort de Polonius, lors de la rencontre entre Hamlet et sa mère Gertrude, et le retour de l’affligé Laerte. C’est donc une scène d’action qui se concentre sur deux éléments : le départ d’Hamlet pour l’Angleterre et la folie d’Ophélie. Il y a également un rappel des actions entreprises et mises en place par Fortinbras, la Marde de Norvège. La scène 19 est d’autant plus importante qu’elle suit des scènes 17 et 18 qui sont très lourdes en sens esthétique. Ce sont deux scènes plus lentes, tributaire d’un choix dramaturgique dense. La scène 19 amène un air plus léger, plus grotesque, qui permet aux spectateurs de souffler. C’est le 1er élan qui nous mène au sprint final vers le dénouement funeste de la pièce.
K. Claudius : Même s’il est fait mention quelques scènes plus tôt que Claudius veut envoyer Hamlet en Angleterre, c’est dans cette scène qu’il le lui ordonne officiellement. C’est la première tentative de Claudius de se débarrasser d’Hamlet. En effet, nous y apprenons que Claudius envoie une missive au Roi d’Angleterre lui ordonnant d’exécuter le prince Hamlet. Et si cela n’est pas suffisant, Rosencrantz et Guilderstern l’accompagnent pour s’en charger. L’exécution de ce plan sera le déclic de l’engrenage qui nous mène tout droit à l’hécatombe de la fin de la pièce. Jusqu’alors, Claudius s’était efforcé de garder Hamlet près de lui, afin de mieux le surveiller. Avec la mort de Polonius, il voit que le prince du Danemark passe à l’action (même si c’est malgré lui), et se sens menacé. À ses yeux, Hamlet dérange de plus en plus à la cour, aussi fou soit-il. Avec le coup de la pièce de théâtre (la souricière), le roi se sent de moins en moins en sécurité. Il n’a pas d’autre choix que d’éloigner Hamlet, afin qu’il meurt. Car il sait bien que le sang du prince ne doit pas couler sur les terres du Danemark. S’il pense à sa vie, il doit aussi penser à sa réputation et à son pouvoir politique. Il y a déjà eut un Hamlet mort au Danemark, un deuxième serait des plus suspect. De autre côté, j’ai développé la scène pour traiter du côté fourbe et vicieux de Claudius. Autant tient-il, en présence de témoin, un discours remplis d’inquiétude et d’attention à l’égard de son gênant neveu, autant il s’avère vulgaire et conspirateur quand plus personne ne l’écoute. Il sait bien qu’Hamlet ne croit pas à ses attentions, mais il faut que les gens qui l’entourent, la cour, le croit, eux. Il sait bien qu’Hamlet est obligé de jouer le rôle du fou, donc, plus il en rajoute, et plus Hamlet doit en rajouter. Plus il jouera à sembler être un père pour Hamlet, plus ce derniers perdra en crédibilité et en légitimité. Il ne faut pas oublier que si Claudius n’est pas un roi-guerrier, il n’en reste pas moins un assassin qui a lâchement occis pour s’emparer de la couronne. Il a une âme noire qui connait les chemins des complots et des manigances. Cela fait partie de lui. Jusqu’à le rendre un peu grotesque. Mais l’ouragan que déclenche Hamlet fils ne laisse personne intact. Pas même le roi. Hamlet est une épine dans sa couronne, et on ne se débarrasse pas si facilement d’une épine. En l’envoyant ailleurs, Claudius fait l’erreur de permettre à Hamlet de se réorganiser.
Hamlet : Le prince vengeur est peu présent dans la scène. La scène 19 marque pour lui la fin de la démarche qui la mené à mettre en place sa vengeance. En tuant Polonius, en quittant pour l’Angleterre et en fessant tuer Rosencrantz et Guilderstern, Hamlet passe au travers de rites initiatiques qui le font passer d’adolescent (de 30ans) à adulte. Il a gouté à la saveur du meurtre et a perdu une partie de son humanisme et de son scepticisme. Une fois son voyage terminé, il va pouvoir revenir au Danemark pour entreprendre sa vengeance. Il est dépassé par les événements et doit absolument jouer la folie à l’extrême dans la scène. Ce n’est que sur le bateau vers l’Angleterre qu’il va pouvoir faire le point et retomber sur ses pieds.
Q. Gertrude : Gertrude a un rôle très limité dans la scène. Dramaturgiquement, elle annonce la folie d’Ophélie et le retour de Laerte au pays. Elle sert de messager, en quelque sorte. Je me suis donc limité à continué la Gertrude mise en place dans les scènes précédentes. Une Gertrude très « tragédienne », qui parle en phrases dramatiques, mêlant l’anglais au français. Elle est vraiment un personnage, au sens le plus dramatique. Ce qui fait une belle opposition à des personnages, justement, comme Claudius et Phantasmo, qui sont plus caméléon, et s’amuse à changer leur niveau d’implication dans le jeu. Alors que Gertrude est impliquée dans toute son âme.
Phantasmo : Dans le texte, Phantasmo a prit la place du capitaine de Fortinbras, puis de Fortinbras lui-même. Je devais faire mention des informations relatives à Fortinbras dans la scène, et je voulais introduire Phantasmo dans notre collectif. J’ai donc fait de Phantasmo un agent danois de Fortinbras. Il est l’incarnation même du collaborateur. Comme le sont aussi Rosencrantz et Guilderstern. Ils ne collaborent pas par intérêts personnels ou de pouvoir, mais parce qu’on les paye bien. C’est pas plus compliqué que cela. Même s’il arrive de nulle part, son intervention permet de créer une transition entre le départ d’Hamlet, et l’entrée d’Ophélie. Il sépare la scène en deux, ce qui permet de bien démarquer les propos. Son téléphone cellulaire est un rappel des interphones, walkie-talkie, radio et autres appareils sonores présent dans le collectif. En me servant de la traduction charabia, je continu ce qui est employé dans la pièce, tout en faisant une référence aux distorsions dont peuvent être victime les téléphones cellulaires. Et j’aime bien introduire des anachronismes dans un spectacle. Heureusement pour moi, la traduction charabia est assez claire pour que les spectateurs comprennent les informations relatives à Fortinbras, mais assez étrange pour surprendre.
Ophélie/poupée : Dès le départ, j’avais dans l’esprit de faire parler l’Ophélie folle en japonais. Pourquoi en japonais ? Premièrement, parce que c’est la seule langue étrangère que je connais assez pour en faire des traductions, aussi mauvaise soient-elles. Deuxièmement, parce que le japonais est une langue facilement reconnaissable. Du moins, les spectateurs replacent rapidement qu’il s’agit d’une langue étrangère, très certainement asiatique. J’ai essayé de faire les choix de traduction qui sonnait le mieux à l’oreille, et qui était sous la forme la plus vulgaire possible. Troisièmement, parce qu’un des symptômes, selon l’église catholique, de la possession, c’est de parler soudainement une langue étrangère. Or, c’est difficile de trouver langue plus étrangère pour une danoise du moyen-âge, que le japonais… Ophélie n’est pas possédée, mais elle n’en est pas moins folle. C’est une jeune fille qui vient de tout perdre : son amour (Hamlet), sa virginité (je suis partisan d’une Ophélie enceinte) et son père (qui plus est, assassiné par Hamlet). C’est une jeune fille qui a perdu tous ces repères. Dans le contexte, elle est incapable de fonctionner normalement. Elle se reconstruit donc une logique. Mais avec des résultats très défaillants. Néanmoins, sa folie ne lui a pas fait perdre toute sa raison. Dans ce qu’elle dit, il y a des remarques vraies. Comme pour Hamlet, sa folie lui permet de dire des choses qui seraient cachés, sinon. C’est un élément que Stéphanie (l’auteure de la scène 20) et moi avons appliqué. Sans jamais nous être consultés… Dans sa folie, elle mentionne la peine que la perte de Polonius et d’Hamlet lui cause, mais aussi, la perte de son bébé. Dans son « Il est mort et disparu, Lady… » il y a de tout cela. Son texte est parcouru de référence à son état de jeune vierge qui a perdu son hymen, et qui pleure son amour disparu et son enfance perdu. D’ailleurs, le texte est un mélange entre le texte originel de Shakespeare, traduit de ma plume, et des extraits d’un poème d’un poète japonais du 17e siècle, Bashô Matsuo. Je l’ai tiré de la fin du roman d’Akiyuki Nosaka, Les pornographes, mais le titre du poème n’était pas mentionné. C’est mentionné être de Bashô, mais, connaissant Nosaka, je doute que ce soit vrai… Ce poème avait le double avantage d’être plus vulgaire que celui de Shakespeare, et des rester dans le style japonais.