Au début, je me suis beaucoup questionnée sur le rôle d’une réécriture. Est-ce qu’il faut moderniser, expérimenter avec le style de Shakespeare et tenter une version personnelle de sa plume, est-ce une question de thèmes ? Jusqu’où est-ce que je peux aller et surtout, qu’est-ce que ça apporte au texte original ? Je savais que je voulais avoir plusieurs niveaux de langages (des inversions à la Shakespeare et des formulations plus contemporaines), actualiser la situation et rendre les actions des personnages justifiées. Ma décision était alors plutôt d’ordre logique plutôt que d’un délire d’écriture. Le fragment 17 m’a rendu nerveuse au départ. D’une part, le monologue de Claudius ne me disait pas grand chose et de l’autre, nous avions souligné de nombreux problèmes quant à la scène Gertrude/Hamlet. La première partie du segment s’est finalement avérée très stimulante. J’ai réfléchi pendant un moment sur la notion de prière. Je cherchais comment moderniser et adapter ce mélange de peur, de dégoût de lui-même et de recherche de remords qui ne lui viennent pas. C’est en regardant la fin du fragment 16 que la solution m’est venue. Comment mon Claudius, homme moderne, réagit lorsque son neveu lui montre devant sa Cour le crime qu’il a commis ? Il se retient, sort rapidement et lorsqu’il est en sécurité, il est inévitablement en état de choc… Alors moi, personnellement, je suis d’avis que l’action de vomir a quelque chose de réjouissant au théâtre. C’est une action violente de purgation. Donc, j’ai rendu Claudius physiquement malade à cause du choc. Il va se réfugier dans une salle de bain et barrer la porte. Un plancher de salle de bain, c’est glauque mais rassurant. En fait, glauque et rassurant. Ensuite, pour l’écriture de ma première version, je me suis laissée guider par mon image cinématographique déjà établie : Claudius vomit et tremble. Je le fais boire afin de relaxer (bon, je dois avouer que le faire gargariser avec de l’alcool puis lui faire avaler est une petite blague personnelle volontairement trash) et pour lui donner un côté sombre. Sa bouteille est cachée dans la salle de bain, il l’a mis là. La salle de bain devient une sorte d’abris pour lui. Je veux en venir justement là : au lieu d’aller soulager sa conscience à un prêtre et prier, il se réfugie dans son petit abris et il « pète une coche ». Ensuite, voilà, il parle de l’obsession de la vision de son crime et l’incapacité de ressentir de la culpabilité. Les traces d’automutilations ne sont pas là pour être « trash » mais plutôt pour continuer dans la lignée de la religion, de la punition, du châtiment. Claudius doit se punir parce qu’il ne se sent pas coupable d’avoir tué son frère, parce qu’il vit avec les bienfaits de se meurtre à tous les jours. La douche était ma dernière allusion à la prière : se laver… Bon ce n’est pas cherché très loin mais autant aller au bout de ses idées… ! Pour ce qui est d’Hamlet, de deux choses l’une, je lui porter un chandail de The Smiths afin de faire un petit clin d’œil à ceux qui pourraient le percevoir, soit faire un parallèle assez cocasse entre Morrissey et Hamlet. Morrissey, le jeune homosexuel solitaire et ultra-lyrique qui a écrit des chansons qui cassent le cœur comme There’s a light that never goes out ou dans How soon is now ? les paroles : I am human and I need to be loved… Les deux seuls contre le courant, littéraires, ayant un humour très glauque et une propension au mélodrame. (En passant de même, une chanson s’appelle Shakespeare’s sister et I started something I couldn’t finish… hahaha) Bon, ensuite, je fais porter à Hamlet les vêtements de son père. La signification n’est pas bien complexe… J’ai vu que dans la scène de Stéphanie, elle a fait porter à Laertes les vêtements de son père. J’aime bien ça ! Bon, mon Hamlet, je l’ai vu comme un jeune homme pas très violent à la base, la tête dans la poésie, les études et les arts. Je me demandais comment il pourrait se motiver à devenir le fils vengeur. C’est pour cette raison que je lui faisais enduire le visage de traces noires. Un peu comme rituel de guerre, pour lui permettre de prendre le personnage du tueur. Pour ce qui est de la scène avec Gertrude, je m’étais contenté de rendre ça moderne et d’éviter les pièges que nous avions vus en classe. Avec les commentaires reçus, je me suis rendue compte avec tristesse que ma tentative d’appropriation de la langue Shakespearienne vs un langage plus contemporain ne marchait pas. Je tenais vraiment beaucoup à avoir plusieurs niveaux de langue dont un qui ferait plus de références au texte original. Pourtant, mes tentatives ont été plus reçues comme de la maladresse et une fausse envie d’écrire dans un langage trop haut pour moi. Je peux comprendre que ça ait été reçu ainsi mais à ce moment, j’étais franchement déçue. Comment garder Shakespeare dans mon texte si ce n’était de cette façon ? J’ai finalement décidé de mettre un trait là-dessus en me disant que plutôt de faire un exercice de style, je tenterais de trouver des façons plus audacieuses d’écrire. Plus court, des images plus définies, pousser les personnages plus loin. À la deuxième réécriture, j’ai été figée lorsque j’ai vue la réécriture de Roxanne. Tandis que j’avais dans la tête de couper et d’épurer, j’ai vu mon texte devenir littéraire et touffu. Je n’ai pas su quoi faire, j’ai pensé aux visées de métissage et je n’ai pas réécrit la scène. À la place, j’ai envoyé des commentaires à Roxanne, des suggestions (genre le céphalopode) et des petits trucs. Je me suis sentie vraiment nulle, je dois dire, car je pensais que j’avais plus de colonne. Pour la troisième réécriture, ça a été ultra-stimulant ! Nous nous sommes rencontrées toutes les quatre (avec des styles foncièrement différents) et l’échange a été très, très fécond. Nous avons passé chaque réplique et nous les avons changées ensemble. Nous avons beaucoup coupé dans le gras, nous avons insisté sur certaines idées… Le poème de Claudius, par exemple, est un exemple d’un extrait où je ne sais pas qui a écrit quoi. Nous parlons beaucoup, durant le texte de Claudius, de sa relation avec Gertrude et de son sentiment de médiocre substitut de son frère. Nous exprimons également sa possessivité envers Gertrude (je te marque au fer rouge). Les images se mélangent dans sa tête. Nous avons pris l’image de Hamlet-père mort, le visage dans la neige et du sang lui coulant par l’oreille et nous l’avons dépliée dans une myriade de variantes (qui font allusion parfois à Gertrude, ou à Hamlet…) C’est un délire d’homme saoul et tourmenté. Nous avons gardé la présence de Gertrude, que Roxanne avait trouvée. Nous avons intégré l’idée de Cath Girardin de « Vacancy » sur la petite culotte de Gertrude. Que Gertrude se déshabille face à Hamlet amène un malaise, quelque chose de trouble dans leur relation. Une tension sexuelle malsaine. Je me souviens avoir eu l’idée un peu végétale des allusions au comportement animal car je travaillais sur Laurie Anderson et avait la chanson Animals en tête. Les animaux laissent aller leurs pulsions alors que l’homme les refoule. Ça devient intéressent, lorsqu’Hamlet devient passionné et qu’il vit ses pulsions, ne parle pas de façon naturelle mais par métaphores. Roxanne a effectué des recherches et a découvert des faits absolument réjouissants et horribles !! L’histoire de la maman rongeur qui mange sont bébé est franchement délicieuse ! Nous avons substitué le monologue d’Hamlet par l’histoire de l’araignée car sincèrement, je ne voyais pas de bonne raison à Hamlet pour ne pas tuer Claudius tout de suite. Nous avons davantage misé sur l’émotion dont le texte est porteur. Nous avons fait de même avec l’échange entre Gertrude et Hamlet. J’en étais très enthousiaste. C’était beaucoup trop tentant. Est-ce que nous avons bien fait ? Je ne suis toujours pas certaine mais ça donne un moment vraiment violent et drôle. Nous avons réfléchit au seul mot qu’Hamlet dirait à sa mère assez longtemps pour finalement choisir le bon vieux « whore ». C’est bref et éloquent. Le dialogue qui devient de moins en moins réaliste et plus au niveau des intestins et des émotions voulait créer une transition plus douce entre les fragments 17 et 18. Cath Girardin est ensuite arrivée avec un extrait en français sur l’histoire de Loth et de ses filles et la transition est toute en douceur.

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