Cacher les modifications mineures - Affichage du code
LAST CALL HAMLET Journal de bord
INTRODUCTION À HAMLET ou Comment je suis restée au port
La présentation du cours était très stimulante : « Hamlet n’est pas une tragédie de vengeance, c’est une pièce sur les choix […]. » . Cependant, j’ai souvent l’impression qu’un enseignant qui s’emporte oublie ses élèves au port. Pour ma part, je suis restée plus qu’amarrée. J’étais déjà intimidée par la présence des élèves en jeu et des troisièmes années de mon programme, que j’ai toujours mis dans une classe à part. De les voir tous s’animer pour Shakespeare me rendait très septique, car, au fond, il ne me parlait pas Hamlet.
LA PREMIÈRE PARTIE DU COURS ou La théorie
Forcément, un cours d’Études Théâtrales ne pouvait pas être vraiment pratique. Non seulement nous étions bombardés de théorie, mais elle était souvent en anglais. Le texte de Shakespeare à partir duquel nous travaillions était en anglais, les professeurs choisissaient souvent de s’exprimer dans cette langue et je bouillais un peu plus à chaque mot prononcé. Plusieurs questionnements se réchappaient des discussions, plusieurs analyses des personnages, etc. Je n’élaborerai pas sur la question puisque je ne m’en suis pas servi pour ma première réécriture. Néanmoins, je m’acharnais à avoir une quelconque réflexion sur la pièce question de ne pas perdre espoir. Je me questionnais sur la question de choisir le moindre mal… « Qu’est-ce que c’est le moindre mal entre ruiner sa vie et mourir ? » et « Qu’est-ce que c’est choisir? » Lentement mais surement, j’ai été gagné par la folie du groupe. Hamlet, ça ne racontait pas n’importe quoi.
PREMIÈRE RÉÉCRITURE ou « Les fossoyeurs ? C’est une blague ? »
Lorsque la distribution des scènes a eu lieu, j’ai été très déçue : « Les fossoyeurs ? C’est une blague ? Mais ça ne fait même pas partie d’Hamlet! » J’aurais voulu écrire une grande scène avec des grands enjeux et des grands mots et des grandes images, m’accoter à Shakespeare. La traduction google était plus que louche et, en majeure partie, incompréhensible pour moi à cause de ma relation difficile avec l’anglais. Résultat, j’ai supprimé toute la théorie et les grands questionnements de ma tête : on n’avait pas parlé des fossoyeurs, du moins pas que je me souvienne. Je me suis demandé quoi faire avec deux hommes, la tombe d’Ophélie et un Hamlet qui se promène dans un cimetière.
J’ai fait une liste de tous les duos que je connaissais pour ensuite faire un choix. J’ai décidé de travailler avec ce que j’appelle un duo du style chasse et pêche, deux vieux bons amis qui partagent quelque chose et qui sont ensemble depuis trop longtemps. Ce sont des habitants, avec tout ce qu’il y de plus simple chez un habitant. Je ne les ai pas écris comme des clowns, blancs, rouges, bleus ou verts et encore moins comme un duo de cons. S’ils sont drôles, c’est une question de rythme et d’oppositions. Malgré le fait que certaines répliques semblent niaises ou simples d’esprit, je voyais les fossoyeurs se moquant l’un de l’autre tout simplement.
Je n’étais pas certaine de mon résultat. J’avais coupé tout ce que je ne comprenais pas ou qui était anglais dans le texte google et j’y suis allée de mémoire. Ma scène était donc très courte et possédais simplement ce que je trouvais essentiel au niveau du contenu. Ça m’importait peu, ce n’était pas comme si les fossoyeurs faisaient partie de la pièce. À ma grande surprise, le seul commentaire à l’égard de mon texte était alors : « Vendu. »
DEUXIÈME RÉÉCRITURE ou « Qu’est-ce que j’ai fait à la vie ? »
Donc, oui, vendu. Mais encore ? Je devais faire une réécriture à partie de zéro commentaire. Je n’étais pas très avancée et l’arrivée de mon coéquipier n’arrangea pas vraiment pas la situation : « Ta scène est efficace. Hamlet est peut-être un peu trop absent, il pourrait parler plus. C’est ça, fait parler plus Hamlet. » À mon problème de scène s’ajouta donc mon problème d’Hamlet. J’étais à la fois exaspérée et désespérée.
Pour de diverses raisons, mes principaux leitmotivs lors de ma troisième réécriture étaient : « Mais qu’est-ce que j’ai fait à la vie ? » et « Pourquoi moi ? » . J’essayais de me détacher de ces émotions pour comprendre Hamlet. Je me suis rendue compte que c’était peut-être aussi ce que lui se disait « pourquoi moi ». Grâce à ça, les deux lignes d’Hamlet sont devenues quatre lignes un peu plus sensibles, mais Hamlet restait flou.
TROISIÈME RÉÉCRITURE ou « Des blagues de bébés morts »
Des consignes concrètes m’ont été données pour la troisième réécriture. Mon coéquipier m’a dit de rajouter des silences et de faire parler Horatio. Le professeur a ajouté qu’il serait intéressant d’apprendre qu’Ophélie était enceinte et qu’il manquait une information importante. En effet, j’avais avorté l’interaction entre Hamlet et le fossoyeur au sujet de la décomposition, ce qui empêchait l’enchaînement de la scène 23. La professeure m’a également entretenu de l’importance qu’Hamlet n’avait pas dans ma scène, alors que c’est l’un des rares moments dans la pièce où il peut exprimer son déchirement et sa peur de la mort.
J’ai donc essayé de rajouter tout ça. Après des centaines de blagues de bébés-morts, mes fossoyeurs ont fini par potiner au sujet de la personne qui serait enterrée, c’est-à dire Ophélie enceinte. À la suite de courts entretiens avec l’auteur de la scène 23, nous avons tous les deux concluent qu’un de mes fossoyeurs devait partir, l’autre resté et répondre à Hamlet sur la question de la décomposition.
J’avais de la difficulté parce que je ne voyais pas pourquoi Hamlet demandais combien de temps un mort prend pour se décomposer. J’ai décidé que c’était pour savoir si le cadavre de son père avait toujours les traits de ce dernier, au cas où c’était son cadavre qui était venu vers lui. De plus, faire discuter Hamlet avec Horatio m’a permis de donner une couleur aux deux personnages. Horatio ne sait plus trop quoi faire avec Hamlet et Hamlet ne sait plus trop quoi faire avec lui-même. C’est ce que j’ai voulu montré, à quel point il se sentait dans une espèces de danger, d’urgence. Quelques petites modifications de dernières minutes dans les didascalies et des ajouts de silence ont donnés ce que je considère comme étant un excellent résultat à la lecture publique.
QUATRIÈME RÉÉCRITURE ou « Un fossoyeur, ça parle pas anglais, final bâton. »
Après la lecture publique, j’ai constaté que ce qu’il manquait à ma scène, à ma grande exaspération, c’était de l’anglais. J’ai essayé de faire parler les fossoyeurs dans un mélange de français et d’anglais. Horrible, non seulement ça les rendait ridicule, mais ça aurait brisé le lien avec la scène 23. Cependant, je trouvais que faire parler Hamlet en anglais lui ajoutait quelque chose. J’ai aussi décidé de mettre plus de colère dans sa réplique en saccadant le rythme.
Au sujet la décomposition du corps humain, j’ai consulté quelqu’un que je considère comme un expert. Lorsque je lui ai demandé tel un Hamlet : « Combien de temps un corps reste identifiable après la mort ? », il m’a répondu : « Avec ou sans la fiche dentaire ? ». Ça m’a tellement fait rire que je l’ai ajouté à ma scène. J’ai aussi inséré un « crée ben » pour permet à une réplique de mieux s’introduire.
CONCLUSION ou Et si je ne reviens pas la session prochaine
En ce qui concerne ma scène, je crois que les dernières modifications ont besoin d’un œil extérieur. Aussi, lorsqu’un choix sur la langue sera fait, il serait bon d’y revoir l’anglais. Je voudrais, pour tout l’or du monde, que les fossoyeurs ne soient pas joués comme des imbéciles, car ils sont loin d’en être. Il faudrait aussi revoir ce que dit Hamlet et établir la raison pour laquelle il est dans le cimetière, pour être certain que ce soit utile comme dialogue.
Si une chose est claire pour moi, c’est qu’il faut faire un choix par rapport à Hamlet, à défaut qu’il en fasse un lui-même. C’est un personnage nébuleux et complexe. Il faut réussir à le cerner si on veut pouvoir le diriger de manière cohérente. Chaque auteur à son Hamlet, sa Ophélie, sa Gertrude. C’est beau et c’est bien. Cependant, malgré toutes les différences, Hamlet doit avoir UN leitmotive, un caractère, quitte à ce que ce détail ne soit que dans l’esprit des créateurs par souci de cohérence, et je crois qu’il devrait en être ainsi pour chacun des personnages.
Voilà.
N.B. Les notes de bas de pages ne sont présentes, pour l’instant, que sur la copie papier du journal.