Ophélie fixe Claudius avec insistance, et ce, jusqu’à sa sortie.
Le roi n’ose plus bouger.
La reine semble absente et est à l’opposé du roi dans l’espace.
LE ROI : chuchotant, Ma foi, la folie me hante et me guète. Hamlet, maintenant Ophélie… Suis-je le prochain? Oh, non… Aurais-je ensorcelé ma cour par ce vil meurtre? M’aurais-t-on maudit? (Un temps) Non. Du calme, Claudius.
La reine traverse l’espace scénique avec prestance et assurance jusqu’au roi.
LE ROI : Ah, ma reine! Dites-moi ce que vous pensez de tout cela?
La reine reste dans le silence.
Allons, ma reine, ma douce reine. Dites.
La reine se dirige vers son trône et s’assied. Le roi la suit presque à la course.
LE ROI : entre les dents, Allons, ma reine. Vous savez bien que je déteste les silences.
Un garde apparaît suivi de près de Laertes. Pendant les répliques du roi et du garde, Laertes entre dans le palais comme si il n’y était jamais entré. Il observe le plafond, les vases, les toiles avec condescendance, agressivité et ironie. Il fait glisser son épée au sol, ce qui crée un bruit strident et désagréable. Bref, il occupe l’espace avec dégoût, mépris et nonchalance.
Le roi observe Laertes avec impatience et crainte.
UN GARDE : Mon bon seigneur?
LE ROI : impatient, Oui ? Qu’y a-t-il? Soyez bref.
UN GARDE : Oui, monsieur. Laertes vous demande humblement si votre illustrissime aurait l’obligeance / d’écouter le discours de ce jeune gaillard.
LAERTES, le coupant, ironique, il fait les courbettes de salutations d’usage : Oui, je vous demande humblement, respectueusement, affectueusement : Où est mon père? (Criant et séparant chaque mot.) Où est-il?
LE ROI : froid, Je ne peux pas vous mentionner précisément où est votre père, mais pour sûr, il est mort.
LAERTES : Votre bras droit est mort et votre cœur n’a que cette réponse absurde à dire.
L’épée de Laertes semble s’élever vers la poitrine de Claudius. La reine se déplace alors rapidement devant son amant afin de le protéger.
Laertes pointe son arme vers la reine.
LAERTES : nerveux, rire, Reprenez votre case dans l’échiquier ma bonne Reine ou je vous mets à l’échec.
Claudius agrippe la reine et la camoufle derrière lui afin de l’épargner. Laertes change de cible. Son épée pointe maintenant le cœur du roi.
LAERTES : (Ironique) Êtes-vous sain d’esprit, mon bon roi?
(Il s’appuie sur le manche de son épée qui est contre le sol. Il feint une réflexion.) Deux pions sur la même case. Cela pose problème.
Il pointe à nouveau son épée en direction du roi.
À la reine : Cette lame droit au cœur. Qu’en dites-vous ma reine? Votre mari, mort?
LE ROI : Sentez mon cœur Laertes. Il bat à une cadence constante. Ainsi, en déduirez-vous, j’espère, que je ne ressens pas la culpabilité.
Silence.
Laertes baisse tranquillement son arme.
Entre Ophélie. Elle déambule dans l’espace. Elle fait des gestes amples à la manière d’une princesse dont la robe virevolte au vent. Cela dit, elle est pratiquement nue.
LAERTES, qui reconnaît à peine sa soeur : Ophélie?
Ophélie danse une valse avec un partenaire imaginaire. Elle tourbillonne un instant avec excès. Comme si on la forçait à tourner. Elle s’arrête brusquement. Sa voix est plus aiguë qu’à l’habitude. Elle dialogue avec les personnages à l’aide de réplique de pièces connues. On y retrouve les personnages suivant : Lady Macbeth, Andromaque, Nina (de la version de Denoncourt.)
OPHÉLIE : Je suis seule. Une fois tous les cent ans, j’ouvre la bouche pour parler, et ma voix résonne tristement dans le vide, et personne ne m’entend…
La reine s’approche d’Ophélie. Ophélie s’agrippe au cou de la reine. La reine tente de couvrir Ophélie de sa cape. Celle-ci la repousse.
OPHÉLIE : Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle : je vous le répète. Il est enterré, il ne peut pas sortir de sa tombe.
La reine quitte la scène.
LAERTES : Ma sœur… Mon ange?
OPHÉLIE : Ange, nuage ou vapeur?
(Elle imite une tragédienne.) Qui suis-je? Qu’ai-je fait? Que dois-je faire encore? Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore? Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais. Ah! ne puis-je savoir si j’aime, ou si je hais?.
Elle détache une plume de sa chevelure.
Je l’aime. Elle détache une autre plume. Je le hais. Et ainsi de suite.
Voilà pour toi.
LAERTES : Une plume?
OPHÉLIE : Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça. (Temps) Je suis une plume. Je suis morte, mais par mon existence, je rappelle l’existence d’un autre. Il faut me tuer.
Ophélie fredonne à la manière d’une berceuse pendant la réplique de son frère : Morte-vivante-morte-vivante-morte-vivante.
LAERTES : Ophélie… Pardon.
OPHÉLIE : Bou-hou. Sèche ces pleurs, mon bon seigneur. Qu’avez-vous donc, mes braves hommes? Vous qui avez tout, vous plaignez-vous? Ne quittez pas mon regard, mon cher (en désignant le roi) avant que je fasse de moi un paon, comme l’aurait dû être une reine.
Ophélie se déplace vers le trône de la reine et occupe l’espace royal de la reine.
Attelez-vous, car je chante!
Sur cette selle, on scelle mes paroles. Que de sons, je prononce. Que de paroles, j’entends. « Soit ma femme » que l’on me dit. Et je dis oui, malgré mes hontes. D’un instant à l’autre, Avant même que je puisse dire oui ou non, L’on me chevaucha sans merci sans dire oui. J’ai menti, j’ai violé comme on a violé… Puisse celui qui est de moi, soit différent de moi.
Elle s’assied sur le trône de la reine avec démesure, elle rit étrangement et retourne à ses valses comme si son partenaire lui demandait une nouvelle danse.
Un temps.
LAERTES : Pourquoi ces épreuves? Veut-on tester ma conscience?
LE ROI : Du calme. Du calme. Laertes.
LAERTES : On veut ma mort. On veut ma perte.
LE ROI : criant, ASSEZ! Assez, mon brave Laertes.
Le roi secoue Laertes.
Regardez-moi. Laertes?
Un temps.
Bon, vous voilà, plus calme.
Un temps.
Écoutez ce que j’ai à vous proposer.
Ils se dirigent vers le trône. Laertes s’accroupit devant son roi qui, lui, est bien installé sur son trône.