DEUXIÈME FOSSOYEUR Y’a été enterré y’a 12 ans, le jour où Fortinbrass, le vieux pas le jeune, y’est mort à cause de Hamlet, pas le jeune, le vieux, le père du fou là.

HAMLET Le fou?

DEUXIÈME FOSSOYEUR Ben, oui, j’ai pris ça à radio. C’t’étrange ça, devenir fou.

HAMLET Très étrange.

DEUXIÈME FOSSOYEUR Si vous voulez mon avis la raison c’est le Danemark. C’est pour ça qu’il est parti en Angleterre.

HAMLET En Angleterre? Pourquoi?

DEUXIÈME FOSSOYEUR Un fou avec un autre fou, y voit pas que l’autre y’est fou. Pis vu que les anglais sont toutes des fous…

Le Fossoyeur tend le crâne à Hamlet. Hamlet le prend.

HAMLET : À qui est ce crâne?

FOSOYEUR 2 : Ce crâne, mon cher monsieur, c’est celui de queckun de ben connu. On l’voyait tout le temps vers la fin de la journée dire des niaiseries à la TV. Chu pas peu fier de l’avoir dans mon trou, surtout qu’y’animait l’émission Le cimetière du fun à Télé-Royale. C’tait quoi son nom déjà?

HAMLET : Yorick.

FOSSOYEUR 2 : C’est ça Loïc…

HAMLET : Pauvre Yorick. Horatio, tu te souviens, quand on rentrait de l’école, on s’assoyait devant la télé pour son émission. Religieusement, pendant 12 ans, on a écouté son programme, jusqu’à temps qu’il meurt, étouffé dans un costume de chameau. Un phare dans ma jeunesse. Tu te souviens, il finissait toujours son émission de la même façon :

FOSSOYEUR 2 (en même temps que la réplique d’Hamlet) : En tout cas, moi je l’ai jamais aimé c’te bouffon là. Toujours à faire des pirouettes pis des niaiseries. (Temps) Si j’aurais été dans c’te poste de TV là, je peux tu te dire qu’y aurait jamais été là. (Temps) En tout cas, bonne soirée les boys! (Il sort.)

HORATIO et HAMLET : À demain les p’tits vauriens et tâchez de pas mourir!

(Ils rient.)

HAMLET : Ça n’aura jamais été plus vrai qu’aujourd’hui. Un jour t’es là, et t’es incapable de dire si tu vas encore être en vie le lendemain. Et tu laisse quoi au bout de tout ça, un souvenir, une image, presque rien.

HORATIO : Quand même, ils sortent un DVD. (Moue désabusée d’Hamlet.) Personne n’échappe au temps. On finit tous par mourir. On vit bien ou mal, on meurt bien ou mal. Les deux c’est pareil. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait là, maintenant.

(Entrent Claudius, Gertrude, Laertes, un prêtre et des lords. On transporte un cercueil.)

LAERTES : Rien de plus? Que des rites bâclés à la lueur d’une chandelle? Les cloches de l’église n’ont même pas sonné.

HAMLET : Un cortège funèbre. Horatio, caches toi.

(Horatio et Hamlet se cachent)

PRÊTRE : Si c’était juste de moi, je ne l’aurais même pas enterrée. Vous me réveillez, à 10h00 du soir, pour des funérailles dont vous ne voulez même pas que je fasse mention nulle part, vous me forcez à les faire malgré les lois de l’église, et je suis supposé faire comme si de rien était! Ah, mais c’est pas pareil, elle est proche de la famille royale, elle a donc droit a tous les privilèges, même si elle est morte scandaleusement et qu’elle ne vient plus à l’église depuis sa première communion! Eh bien non monsieur. This is what I give you, this is what you gonna take! Je ne suis pas une connexion sans fil illimitée avec le Seigneur. Y’a une religion derrière la soutane, des règles, un code de conduite. Vous les méprisez, vous les transgressez et vous forcez les autres à le faire. Poussez-pas votre luck!

LAERTES : Ma soeur sera un ange pendant que vous brûlerai en enfer.

PRÊTRE : Félicitation pour la subtilité de l’image.

HAMLET : Ophélie…?

(Le prêtre récite le Je vous salue Marie en Latin d’un ton lent et monocorde.

Ave, Maria gratia plena : Dominus tecum ; benedícta tu in muliéribus ; et benedíctus fructus ventris tui, Jesus. Sancta Maria, Mater Dei, ora pro nobis peccatóribus, nunc et in hora mortis nostræ. Amen

Le cercueil est mis en terre. Pendant les prochaines répliques, Hamlet sort tranquillement de sa cachette et s’avance vers Laertes. Pendant leur dialogue, Gertrude et Claudius ne s’écoutent pas.)

GERTRUDE : C’est indécent de porter en terre une femme aussi jeune. C’est nous qui devrions être là, pas elle. Le Danemark sent la mort.

CLAUDIUS : Gertrude…

GERTRUDE : En quelques mois, j’ai porté à leur tombe un père, sa fille et mon propre mari.

CLAUDIUS : N’en reste qu’un.

GERTRUDE Quoi? (Elle n’a pas compris ce que Claudius a dit. Elle le regarde. Après un temps.) : Votre couronne est sale. Vous la ferez astiquer.

(Ils aperçoivent Hamlet et se taisent. Laertes relève la tête, le voit aussi. La bataille éclate. Le prêtre en profite pour s’éclipser.Le spectre d’Ophélie apparaîtra durant la scène. Seule Gertrude peut la voir.)

LAERTES : Crève en enfer, chien!

HAMLET : Le chat peut bien miauler le chien aura son heure.

LAERTES : Meurtrier! Scéléra!

HAMLET : J’ai aimé Ophélie d’un amour qui dépasse celui de 20 frères. Nous portons le même deuil.

LAERTES : Tu es une malédiction sur ma famille, tu es un membre infecté qu’il faut amputer. Ferme là! Ferme là. Je ne veux pas entendre. Je ne veux plus voir

HAMLET : Je n’ai jamais voulu ton malheur, ta peine est la mienne.

LAERTES : Tu veux ma perte! Je te ferai regretter de ne pas être resté en Angleterre.

HAMLET Ils veulent la mienne.

HAMLET : Lâches moi! Il y a en moi quelque chose de dangereux.

CLAUDIUS : Laertes, laissez le seigneur Hamlet. LAERTES!

HAMLET : Tu ne peux pas comprendre.

CLAUDIUS : Il est impensable que de jeunes gens de votre rang se conduisent ainsi. Vous n’êtes pas des animaux.

OPHÉLIE : Je suis une mouette, non, ce n’est pas ça.

CLAUDIUS : Si vous voulez livrer bataille c’est par une joute d’escrime qu’il faut le faire.

GERTRUDE : Une joute d’escrime?

HORATIO : Hamlet, refuse

CLAUDIUS : QU’on aille chercher les rapières.

HAMLET : Tu veux te battre Laertes?

CLAUDIUS : Et des rafraîchissements!

LAERTES : Jamais plus que maintenant.

HAMLET : Je n’ai pas peur de ta lame.

OPHÉLIE : Le Danemark sent la mort.

GERTRUDE : Depuis trop longtemps.

LAERTES : Ni moi de la tienne!

CLAUDIUS : Laertes, rappelez vous de notre plan.

HORATIO : C’est un piège

CLAUDIUS : Voici le poison pour la lame.

HAMLET : Je suis le roi de l’escrime à défaut d’être celui du Danemark.

HORATIO : Recule!

HAMLET : Mon bras ne faiblira pas.

OPHÉLIE : Restez sur vos gardes.

GERTRUDE : Je suis prête.

HORATIO : Le Danemark sent la mort.

HAMLET : Je suis prêt.

LAERTES : Mon bras ne faiblira pas.

CLAUDIUS : Restez sur vos gardes

LAERTES : Je suis prêt.

CLAUDIUS : Que cette coupe aille au vainqueur!

OPHÉLIE : ACTION!

V3 Fragment XXV

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