Un gramophone. Une musique de fond constante : « une vieille valse redondante. »

Ophélie quitte la salle en fixant les yeux de Claudius avec insistance, et ce, jusqu’à sa sortie. Le roi n’ose plus bouger. La reine est à l’opposé du roi dans l’espace. Elle semble absente.

Claudius appuie ses coudes sur ses genoux, la tête supportée par ses mains. Sa couronne glisse de sa tête et atterrit au sol. Il la ramasse, y aperçoit son reflet et puis, visiblement agacé par son image, il se met à l’astiquer avec ferveur et nervosité. La reine se dirige vers le roi, récupère sa couronne et la lui dépose sur la tête tout en lui faisant signe de cesser cette mascarade. Elle tente de s’éloigner, mais le roi lui agrippe le bras avec insistance. Ils restent immobiles un moment.

Puis, un son désagréable, semblable à celui d’une radio perdant le signal, se libère du gramophone. La reine se défait de l’étreinte du roi, éteint le gramophone et s’assied sur son trône. Le roi la suit presque à la course. Il s’assied sur son trône et fixe la reine.

Des pas de course. Le garde et Laertes se bousculent à l’entrée. Le garde apparaît ensanglanté suivi de près de Laertes, vêtu des vêtements de son père. Le roi se lève de son trône subitement.

Le garde s’agenouille et s’effondre au sol. Laertes l’achève et se dirige vers le roi tout en glissant son épée au sol, ce qui crée un bruit strident et désagréable. Il court jusqu’au roi, qui est debout devant son trône. Il pointe son épée sur sa gorge et lui tient fermement l’épaule droite avec sa main libre.

Laertes pousse de plus en plus son épée sur la gorge du roi. La reine pousse le roi vers l’arrière, ce qui le fait s’asseoir sur son trône. Puis, elle se déplace devant Laertes et prend ainsi la place du roi.

Laertes pointe son arme vers la reine. Il lui fait signe de retourner à son trône. Elle ne bouge pas. Il s’appuie alors sur le manche de son épée qui est contre le sol. Il feint une réflexion. Puis, il pousse violemment la reine sur le côté. Elle tombe au sol. Il agrippe le col du chemiser du roi, l’agenouille et pointe à nouveau son épée en direction du roi. Vis-à-vis le cœur cette fois-ci.

LAERTES : À la reine : Cette lame droit au cœur. Qu’en dites-vous ma reine? Votre mari, mort?

LE ROI : Sentez mon cœur Laertes. Il bat à un rythme constant. Je ne ressens pas la culpabilité.

LAERTES : Vous mentez!

LE ROI : Dans quel but aurais-je commis ce meurtre, Laertes? Réfléchissez. Votre père était mon bras droit, mon allié, mon plus proche confident… comme un frère.

Silence.

Il ne m’a jamais trahi et il n’a jamais été une menace pour moi.

Silence.

En chuchotant, Je ne suis pas votre ennemi. Quand vous connaîtrez la vérité…

Entrée d’Ophélie. Laertes l’aperçoit et baisse tranquillement son arme. Le roi se ressaisit et se relève péniblement.

OPHÉLIE, grelottante, Une fois tous les cent ans, j’ouvre la bouche pour parler, et ma voix résonne tristement dans le vide, et personne ne m’entend…

Elle est trempée. Quelques plumes prennent place au sein de ses cheveux. Elle déambule dans l’espace. Elle fait des gestes amples à la manière d’une princesse dont la robe virevolte au vent. Cela dit, elle est pratiquement nue.

LAERTES, qui reconnaît à peine sa soeur : Ophélie?

Ophélie se dirige vers le gramophone. Elle croit entendre une musique alors que celui-ci est éteint. Elle prend l’épée de la main de son frère et débute une sorte de danse avec celle-ci. Elle fait glisser l’épée entre ses jambes, à sa gorge, etc. Elle tourbillonne un instant avec excès, comme si on la forçait à tourner. Puis, elle s’arrête brusquement.

La reine s’approche d’Ophélie et tente de la couvrir de sa cape.

LA REINE : Ophélie, ma tendre et douce Ophélie.

Ophélie crie, la repousse, et se déplace vers la reine en traînant son épée au sol, à la manière de son frère.

OPHÉLIE : Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle. Je vous le répète. Il est enterré, il ne peut pas sortir de sa tombe.

La reine quitte la scène au pas de course.

LAERTES : Ma sœur… Mon ange?

(Elle imite une tragédienne.) Qui suis-je? Qu’ai-je fait? Que dois-je faire encore? Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore? Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais. Ah! ne puis-je savoir si j’aime, ou si je hais?.

Elle tente d’insérer l’épée dans son ventre, mais elle s’arrête brusquement et repousse l’épée au sol.

Temps.

Je l’aime. Je le hais.

Voilà pour toi.

LAERTES : Une plume?

OPHÉLIE : Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça.

LAERTES : Ophélie… Pardon.

OPHÉLIE : À Laertes et Claudius : Que voulez-vous donc, mes braves hommes? Eh-Oh, regardez-moi dans les yeux, mon cher roi. Ah! J’aurais dû être une reine.

Ophélie se déplace vers le trône de la reine et occupe son espace royal. Elle imagine le trône à la manière d’une selle.

« Soit ma femme » que l’on me dit. Et malgré ma honte, je dis oui À la chevauchée sans merci. Il est parti bien vite laissant son ombre derrière lui…

(Ophélie diminue la ferveur de ses gestes jusqu’à ce que ceux-ci suggèrent l’image d’une mère berçant son enfant. Elle fredonne doucement une berceuse pour son enfant imaginaire pendant les répliques qui suivent. « D’eau », « d’eau… », etc.)

LAERTES : Que s’est-il passé?

LE ROI : Du calme. Du calme. Laertes.

LAERTES : On veut ma mort. On veut ma perte.

LE ROI : criant, ASSEZ! Assez, Laertes.

Le roi prend Laertes dans ses bras.

Regardez-moi. Laertes?

Un temps.

Restez calme.

Un temps.

Écoutez ce que j’ai à vous révéler.

Ils se dirigent vers le trône. Laertes s’accroupit devant son roi qui, lui, est bien installé sur son trône.

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