Scorsese Tsunami

Scène I

Andréanne Qu’est-ce qu’y a de difficile ? Qu’est-ce qu’y a de si difficile à se pointer à l’heure ? J’me tiens là, d’vant le cinéma à me geler le cul… (elle regarde sa montre) tu débarques pis y’est trop tard.

Stéphane On pourrait aller voir que’que chose d’autre

Andréanne J’veux rien voir d’autre.

Stéphane J’pensais qu’on faisait une sortie ensemble –

Andréanne C’est pas ça le problème –

Stéphane Franchement, c’qu’on va voir ça change rien… J’veux juste…

Andréanne Ben je voulais le voir c’te film-là. J’voulais l’voir. C’te film-là. Pas un autre. C’est mon film préféré, par mon réalisateur fétiche, tu l’sais…

Stéphane Tu m’as pas dit que tu l’avais vu quelque chose comme… cinq fois ?

Andréanne C’est mon film préféré, ouais. Pis tu l’as pas encore vu. J’voulais partager une de mes affaires préférées avec toi.

Stéphane C’est vraiment gentil.

Andréanne Ça fait des semaines, t’es toujours en retard, un moment donné tu t’es même pas pointé, qu’est-ce qui se passe ?

Stéphane J’te l’ai dit, j’avais un cours.

Andréanne Ton cours finissait à cinq heures.

Stéphane J’tais à la bibliothèque, j’ai perdu la notion du temps.

Andréanne Ok, arrêtes de faire l’autruche. T’étais où ? Genre, la semaine dernière, pour la première de « Raging Bull ». J’ai manqué la première de « Raging Bull » ! J’vais voir tous les films de Scorsese le jour qu’y sortent, c’est comme une religion pour moi

Stéphane L’affaire de boxe ? On a vu la deuxième présentation.

Andréanne Pis encore une fois, j’me gelais le cul en face du cinéma, à t’attendre.

Stéphane Il faisait pas si froid que ça.

Andréanne Pis cel’-là, ast’heure… qui sait quand est-ce que ça va sortir dans un cinéma répertoire.

Stéphane Ça va passer à télévision.

Andréanne Y’ a des films que tu peux pas voir à la T.V., faut que t’es voit au grand écran.

Stéphane … Tu veux venir chez nous ? Dans Dallas à soir on apprend qui qui a tiré sur J.R

Andréanne Ouais. C’est ça.

Stéphane Qu’est-ce que je raconte ? C’est quoi mon problème…

Andréanne Hein ?

Stéphane Non mais… - t’as raison. C’est comme si j’avais scrapé la soirée. Pas d’ « si », j’ai scrapé la soirée… J’suis con parce que j’suis pas capable d’être honnête avec moi-même. Ou avec toi. Y’a fallu qu’tu m’engueules pour que j’comprenne.

Andréanne Bon.

Stéphane Ça rien à voir avec le film.

Andréanne Ok. Ben, qu’est-ce qui se passe ?

Stéphane T’es génial Andréanne, vraiment. Mais tu n’es pas la bonne. Pour moi. Tu l’es pas. Pis les dernières semaines ce que je ressentais, pourquoi j’tais aussi distant… J’me sens tout à l’envers, t’en veut ben plus que c’que j’peux t’donner. Parce que moi j’en veux pas plus. De toi. Fait que si j’ai été un trou-du-cul à propos de toutes sorts de petites choses, que j’ai été en retard, distant, peu importe, c’est parce que pour moi, c’est terminé. Je suis désolé.

Andréanne Quoi ?

Stéphane J’suis désolé.

Stéphane sort.

Andréanne Quoi ?

Scène II

Inconnu J’arrête pas d’entendre c’te chanson-là. Ça fait des semaines qu’ils la font jouer, c’est qui ?

Andréanne Il vient juste de mourir dans un accident d’hélicoptère.

Inconnu Ah oui ?

Andréanne L’ami d’Éric Clapt – Tu vas où ? Inconnu Tu veux quelque chose ?

Andréanne Non non non, on n’a pas le temps.

Inconnu On a amplement le temps.

Andréanne On va manquer le début.

Inconnu Les bandes-annonces.

Andréanne Sont déjà commencées.

Inconnu Pour moi, y’a pas de film sans pop-corn, un film c’est une excuse pour manger du pop-corn.

Andréanne Je peux pas manquer le début. Inconnu Au pire on ira voir autre chose.

Andréanne J’ai déjà acheté les billets.

Inconnu C’est un multi-fucking-plex, y’en ont rien à faire de ce que tu vas voir –

Andréanne Regarde –

Inconnu Le billet c’est pour passer les portes, après tu vas voir ce que tu veux.

Andréanne On peut-tu –

Inconnu Plus longtemps on reste ici à s’obstiner, plus t’as de chances de manquer ton début. Veux-tu quelque chose oui ou non ? Cinq, quatre, trois, deux –

Andréanne Non non, vas-y, j’vas être à l’intérieur

Inconnu Je vais te trouver.

Inconnu sort. Andréanne se retourne et fonce dans Stéphane. Il ne se reconnaisse pas tout de suite.

(en même temps) Andréanne: Désolé / Stéphane: ‘Scuse

Stéphane Oh mon dieu. Oh. Mon. Dieu.

Andréanne Salut.

Stéphane Qu’est-ce que tu fous ici ?

Andréanne Je… wow.

Stéphane Qu’est-ce que tu f…. –

Andréanne Je pourrais te demander la même chose –

Stéphane J’vis ici.

Andréanne Moi aussi.

Stéphane Non! Pas vrai.

Andréanne Depuis un an.

Stéphane Tout un hasard toi.

Andréanne Comment ça va ?

Stéphane On fera pas ça. On va pas rattraper j’sais combien d’années en trente secondes et quart.

Andréanne Ok.

Stéphane Tu viens tellement voir le dernier Scorsese « Goodfellas »

Andréanne Naturellement.

Stéphane T’es pas allée le voir quand y’est sorti ?

Andréanne J’ai essayé mais je trava –

Stéphane Ouais mais… Tu faisais tellement chier avec ça.

Andréanne Ha ha

Stéphane Pis qu’est-ce tu fous ? J’veux dire, quel travail tu –

Andréanne Oh, j’écris. Journalisme.

Stéphane Vraiment / ah ouais ?

Andréanne Oui, ici, en ville.

Stéphane Critique de film.

Andréanne Je voudrais bien, mais non. Je voulais faire ça, mais… bon, y’avaient déjà quelqu’un pis de toute façon, je commence en bas de l’échelle. « Fusillade dans tel magasin, sur telle rue, telle nuit, à telle heure, restez chez vous, etc. ». Maintenant au moins, je fais la Maison Blanche.

Stéphane Ben qu’est-ce que Bush a raconté dans dernières semaines ; on s’en va en guerre ?

Andréanne Honnêtement, je pense pas qu’on puisse l’éviter à moins que Saddam…

Stéphane (sarcastique) Et dites-moi comment est-ce que la Maison Blanche se sent face à la réunification de l’Allemagne.

Andréanne Oh, y’ont été beaucoup trop…

Stéphane rit.

Andréanne Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?

Stéphane C’est trop toi. A veut écrire sur les films, mais a vas-tu à Hollywood ?

Andréanne J’étais en Californie –

Stéphane … ou peut-être à New York ?

Andréanne J’ai fait ma maîtrise en Cali…

Stéphane Hm hm.

Andréanne Pis j’ai travaillé là pendant quelque temps, mais rien de permanent. C’est clair que j’aurais préféré rester… Mais tu vas où le travail y’est !

Stéphane Ben quin.

Andréanne Pis… toi ?

Stéphane Divorcé. Récemment. J’t’ici maintenant, mais je fais mes boîtes. Dans pas long j’vais être loin loin loin

Andréanne Hm hm.

Inconnu reviens avec son popcorn et un gros pepsi.

Inconnu Oh ok, je comprends ! Quand je veux mon pop-corn, c’est « on n’a pas le temps ! »

Andréanne Oh ! C’est…

Stéphane Écoutes, j’veux pas être en retard, j’m’en va rejoindre quelqu’un.

Inconnu (continue) … pis quand je reviens, toi t’es encore devant la porte à jaser.

Stéphane M’a essayer de r’trouver ton nom dans les journaux !

Stéphane sort.

Inconnu C’était qui ça ?

Andréanne Un ex. De v’là des siècles.

Inconnu Charmant. (change de sujet) On peut plus avoir de petit format, t’as remarqué ? Regardes-moi la grosseur de ça ; si je bois tout ça, je vais passer la nuit aux toilettes. On est à quel cinéma ?

Andréanne Toi pis moi ?

Inconnu Heu, ouais… ?

Andréanne C’est fini.

Inconnu Quoi ?

Andréanne C’est terminé.

Inconnu Quoi ? Quoi ?

Scène III

Stéphane (crie au téléphone) J’t’entends pas. Non, le signal est correct, c’est la place qui fait toute chier, criss de grande-surface à marde. Pis la musique… Noël est fini, ça devrait être une loi ! Le vingt-six on devrait les forcer à arrêter de faire jouer c’te musique-là. Ça vient de partout. J’hais ça, j’hais le frette, j’hais la neige, j’hais – Ok ok, c’est où ça ? Je gè-LE. Kessé tu veux dire, fait pas si frette que ça ? Dis-moi pas c’qui est frette pis c’qui l’est pas, j’suis plus habitué à c’te température de marde là moi… (écoute) … J’suis au coin McGill?, où c’que tu m’as dit qu’t’allais être – T’ES OÙ ?

Andréanne et Laurent passe.

Laurent On devrait passer chez Indigo en premier.

Andréanne Oh mon Dieu.

Stéphane (même jeu) J’suis juste en avant de la porte pis crois-moi, il fait frette en tabarnack

Laurent (‘’irrité’) Quoi ?

Andréanne Tu vois le crétin qui crie au téléphone ?

Laurent Difficile de le manquer.

Andréanne J’ai déjà sorti avec lui.

Stéphane (même jeu) Kessé tu veux dire, j’suis d’vant l’mauvais centre d’achat ?

Laurent Vraiment ?

Andréanne Continue, je vais lui dire bonjour.

Laurent sort.

Stéphane (même jeu) T’avais dit le centre d’achat au coin McGill?.

Andréanne En fait, il y en a quelques-uns dans le coin.

Stéphane (à Andréanne) J’t’ai demandé quelque chose ?

Andréanne Vous parliez tellement fort que je pensais que vous ouvriez la conversation à tout le monde.

Stéphane Ben non. Je… – (‘’au téléphone’,) Non, juste un weirdo qui s’est mis à me parler.

Andréanne Un weirdo avec qui t’as sorti.

Stéphane Quoi ? (reconnaît Andréanne) Oh mon Dieu. Oh. Mon. Dieu. (au téléphone) J’te rappelle. (à Andréanne) Kessé tu fais ici ?

Andréanne La dernière fois que je t’ai vu tu m’a demandé la même chose. Je vis ici.

Stéphane Pour vrai ? Pourquoi ?

Andréanne Pourquoi ?

Stéphane Pourquoi quelqu’un voudrait revenir habiter icitte ? Avec ces hivers-là ? (un temps) Où c’est qu’on s’est croisé la dernière fois don… Atlanta ?

Andréanne D.C.

Stéphane Ouais. Le critique de film qui écrit pas de critiques de film.

Andréanne (accent sur le passé) C’était ça.

Stéphane Kessé tu fais maintenant, des recettes de cuisine ?

Andréanne En fait, j’écris un roman. Mon deuxième.

Stéphane Vraiment ? Bah tant mieux pour toi.

Andréanne Où vis-tu, toi ?

Stéphane À Malibu. En fait, (accent sur le passé) je vivais à Malibu. J’suis entre deux apparts.

Andréanne Et qu’est-ce que tu fais en ville ?

Stéphane Oh ! Une connerie de famille-là. (un temps) C’te manteau-là est trop frette. (un temps) Alors un livre. Sur Scorsese ?

Andréanne Non. Un roman.

Stéphane T’as vu son dernier ?

Andréanne Pas encore.

Stéphane Je pensais que t’allais les –

Andréanne C’était il y a longtemps, non ?

Laurent revient

Laurent (à Andréanne) Faut que tu viennes voir ça. (à Stéphane) Salut.

Andréanne Je te présente Stéphane.

Laurent Ah, Stéphane.

Andréanne C’est mon mari Laurent.

Stéphane Ravi(e).

Laurent « Ravi ». Il a vraiment dit « ravi»?

Andréanne Oui, elle/Il l’a fait.

Laurent Wow. Je n’avais encore jamais été « enchanté ».

Andréanne Il vit en Californie.

Laurent Ça doit être ça.

Stéphane Pis est-ce qu’y te traîne voir L’aviateur ?

Laurent Le quoi ?

Andréanne Le Scorsese.

Laurent Oh. Non. Ce n’est pas supposé être mauvais ?

Stéphane Je l’ai vu, c’est vraiment bon.

Andréanne Je suis content que tu aies aimé.

Stéphane Pis Kate/Leonardo est tellement sexy.

Andréanne Tu devrais t’essayer. J’ai entendu dire qu’elle aimait les hommes plus âgés.

Stéphane J’pèse la même chose que dins années quatre- vingt. (un temps)

Laurent Vraiment.

Stéphane Exactement

Laurent (faussement intéressé) C’est très impressionnant. Pas moi. On doit y aller.

Andréanne En effet.

Laurent On est serré dans le temps.

Stéphane Ouais ben… On pourrait –

Andréanne Content de t’avoir croisé.

Andréanne et Laurent quittent Stéphane.

Laurent Est-ce que c’était LE/LA Stéphane ?

Andréanne Qui a brisé mon cœur.

Laurent À quoi tu pensais ?

Andréanne J’tais jeune.

Laurent Ce n’est pas vraiment une excuse. Mais viens ici.

Andréanne Quoi ?

Laurent Dans la vitrine, les télévisions – regarde.

Andréanne Bon Dieu. C’est quoi ça ?

Laurent [Un] Tsunami.

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