« 00009 · Éditer le formulaire · 00011 »
(2009)
Il est difficile d’établir un résumé de la narration de Songs of The Dragons Flying To Heaven parce que la pièce ne comporte ni scènes ni histoire suivie. Il s’agit d’une pièce composée de différents tableaux relativement indépendants les uns des autres (certains «personnages» reviennent parfois), mais dirigés par une forme et un propos semblable et constamment en construction par rapport aux tableaux précédents. La pièce commence dans le noir, avec une captation sonore de l’auteure et quelques uns de ses amis, en train de se filmer, et où Young Jean Lee (l’auteure et metteure en scène) se fait frapper au visage un très grand nombre de fois par un de ses amis, jusqu’à en pleurer de douleur. On retrouve aussi quelques tableaux avec deux personnages blancs («White Persons»), un homme et une femme, qui sont en couple mais dont leur couple, justement, semble amené à mourir en raison de l’incapacité de l’homme et de la femme à se parler et se comprendre, à s’aimer. Il y a enfin plusieurs tableaux avec trois personnages coréens (qui parlaient dans la production originale chacun une langue différente: cantonnais, coréen, et japonais). Ces tableaux mettent en scène le «retardedness» de ces trois personnages asiatiques et leur soumission face à la tradition, aux mythes, aux conventions sociales. La pièce se termine avec les deux «White Persons» qui décident de réhabiliter leur couple, et de le faire se réparer, en allant voir un thérapeute.
La pièce est extrêmement intéressante et déroutante à plusieurs niveaux. Sa forme, sa langue, son propos et ses contradictions internes font que le spectateur (ou le lecteur) ne sait pas trop où se positionner par rapport à ce qui est dit. Souvent il est tenté de dégager un propos ou un message de la pièce et des images mises en scène, mais à chaque fois, l’auteur fait entrer un personnage qui se place directement face au public, et s’adresse à lui pour lui dire qu’il a tout faux, et qu’il ne comprend décidément rien. Ainsi, tout nous porte à croire que la pièce parle du racisme, mais l’auteur nous dit que non. Tout nous porte à croire que la pièce parle de violence, de la domination de l’Occident sur l’Orient, de la corruption des moeurs par l’hybridation des sociétés, mais l’auteur vient nous dire qu’il n’en est rien.
Un critique dans le Village Voice (cité en début de l’ouvrage) dit que Lee is a queen of unease; chuckles never come unaccompanied by squirms, et cela ne pourrait être plus vrai. Quelque chose de très grotesque, à la fois complètement risible et tragique, se dégage souvent des actions effectuées sur scène. Le tout début de la pièce, où l’auteur demande à un de ses amis de la frapper et de ne pas arrêter jusqu’au «signal», alors qu’ils se font filmer, produit, comme dans une magie étrange, le désir chez le spectateur de rire, et aussi de se dandiner sur sa chaise en se râclant la gorge d’inconfort et de malaise. Une autre de ces scènes arrive vers la moitié du spectacle: les personnages coréens se relaient sur le devant de la scène pour simuler des suicides atroces et très variés en regardant le public de façon déterminée.
Souvent le spectateur est mis en position de voyeurisme. C’est le cas de la scène d’ouverture, c’est aussi le cas des scènes avec les White Persons, et de la scène où un des personnages coréens se fait posséder par un démon qui lui dit en chantonnant de faire des sévices sexuels violents sur son propre corps et celui des autres.
Il s’agit vraiment d’une pièce très riche, très étrange dans sa forme, à la frontière du traditionnel et du contemporain, de l’oriental et de l’occidental, du comique et du terrifiant, et reposant sur un très grand nombre d’oppositions et de contradictions internes. Exercice d’écriture scénique très intéressant aussi.