Premières Réécritures

Fragment XIX

Le roi est figé sur place. Son regard fixe l’endroit d’où Ophélie est sorti à la scène précédente. La reine derrière semble absente.

LE ROI : chuchotant, Ma foi, la folie me hante et me guète. Hamlet, maintenant Ophélie… Suis-je le prochain? Oh, non… Qu’ai-je fait? Qu’ai-je commis? Aurais-je ensorcelé ma cour par ce vil meurtre? M’aurais-t-on maudit? (Un temps) Non. Du calme. Il me faut tout calculer, contrôler et exécuter, et ce, dans l’honnêteté la plus habile qui soit. Une goutte de poison à la fois. (Un temps) Il reste toutefois que ma conscience semble précaire et que je ne suis pas à l’abri de cette folie. Je soupçonne la folie d’occuper le corps de la reine également et cela ne fait qu’accroître mon inquiétude.

Demain est un autre jour, et il peut être cruel. Comme à mon image.

La reine entre. Le roi sursaute.

LE ROI : mal à l’aise, Ah, ma reine! Comment vous sentez-vous?

La reine reste dans le silence total.

Allons, ma reine, ma douce reine. Dites.

La reine tente de parler avec difficulté.

LA REINE : O…phélie. Ha…mlet. (Un temps, et puis avec mépris) Toi!

La reine se jette sur le roi pour le poignarder. Le roi arrête la reine avec aisance et élimine toute menace en lui retirant son arme de la main. Elle s’écroule au sol. Elle sanglote et tremble.

Ah…. J’ai si mal. J’ai si honte. D’avoir commis en duo ce meurtre. Je ne veux plus vivre. Je ne veux plus que tu vives. Qu’allons-nous devenir? (Un temps) Je t’aime.

Le roi soulève sa reine. Il balaie l’espace du regard. Il craint la venue d’un témoin de cette scène.

LE ROI : entre les dents, Allons, ma reine. Debout. Reprenez-vous, je vous en supplie. Ce meurtre, cet acte, ce complot est légitime et vous le savez fort bien. Notre… Votre Hamlet s’en sortira, si là est votre inquiétude. Je ferai tout pour qu’il en soit ainsi. Maintenant, recoiffez-vous et jouez à notre jeu. Vous n’êtes guère en position de quitter le chéquier.

UN GARDE : Mon bon seigneur?

LE ROI : surpris et impatient, Oui ? Qu’y a-t-il? Soyez bref.

UN GARDE : Oui, monsieur. Laertes vous demande humblement / si votre illustrissime aurait l’obligeance d’écouter le discours de ce jeune gaillard.

LAERTES, le coupant, ironique : Oui, je vous demande humblement et bla, bla, bla : Où est mon père? (Criant et séparant chaque mot.) Où est-il? (Son épée semble prête à dégainer.)

LE ROI : froid, Je ne peux pas précisément vous mentionner où est votre père, mais pour sûr, il est mort.

LAERTES : Votre bras droit est mort et votre cœur n’a que cette réponse absurde à dire.

Silence.

LA REINE : pesant ses mots, Mon bon Laertes. Certes, ton père était un homme bon. Sa mort nous inflige une profonde douleur, mais sache que nous en sommes pour… rien.

Laertes dégaine son épée pour atteindre la reine.

LAERTES : nerveux, rire, Pour rien? Me prenez-vous pour un paysan? Le pouvoir obsède et rend fou. (Ironique) Êtes-vous sain d’esprit, mon bon roi?

Laertes change de cible. Son épée pointe maintenant le cœur du roi.

Cette lame droit au cœur. Qu’en dites-vous ma reine? Jamais vous auriez pensé cela. Votre mari, mort.

LE ROI : Sentez mon cœur Laertes. Il bat à une cadence constante. Je ne ressens pas la peur. Ainsi, en déduirez-vous, j’espère, que je ne ressens pas la culpabilité.

Silence.

Laertes baisse tranquillement son arme.

Entre Ophélie.

LA REINE : Ah, revoilà la folie.

(Un petit temps)

OPHÉLIE : Ophélie. On prononce O-phé-lie. Mon nom. Pas « la folie. »

LA REINE : Cela en est trop. Je ne peux pas assister deux fois à la mort de l’âme de cette jeune fille.

La reine sort.

LAERTES : Ma sœur? Mon ange?

OPHÉLIE : Ange, nuage, fleur. Qui suis-je?

Silence. Laertes est ému. Il ne répond évidemment pas à la question.

C’est une devinette, pas un enterrement. (Petit rire) Enterrement! Enterrement de qui? Ah oui… Je me souviens. De – mon – père. (Ironique) Jolie enterrement.

Silence.

Voilà pour toi.

LAERTES : Une plume?

OPHÉLIE : Une partie du corps d’un être mort ou vivant. Mais cette partie nous rappelle le souvenir de son existence. Morte ou vivante. Suis-je morte ou vivante? Morte? Non. Vivante?

Ophélie fredonne pendant la réplique de son frère : Morte-vivante-morte-vivante-morte-vivante.

LAERTES : pour lui-même, Je te sens aussi morte que mon père, que notre père.

OPHÉLIE : Tu as la plume du Geai bleu. Quant à vous, (en désignant le roi), celle de l’aigle à une patte, un cœur et … un demi-cerveau. (Petit rire!) Et pour vous… Oh, la reine est partie. Donnez-lui la plume du canard ou du pinson, j’hésite. Mais bon dieu que j’aimerais qu’elle soit un paon. Majestueuse et présente pour nous tous. Pour moi.

LAERTES : Je… Je suis désolée, Ophélie. Je ne t’ai pas protégée. J’aurais dû rester à tes côtés. C’était ma place. À tes côtés.

OPHÉLIE : Bou-hou. Sèche ces pleurs, mon bon seigneur. Qu’avez-vous donc, mes braves hommes? Vous qui avez tout, vous plaignez-vous? Ne quittez pas mon regard, mon cher (en désignant le roi) avant que je fasse de moi un paon, comme l’aurait dû être une reine.

Attelez-vous, car je chante!

Sur cette selle, on scelle mes paroles. Que de sons, je prononce. Que de paroles, j’entends. « Soit ma femme, ne soit plus celle des autres » que l’on me dit. Et je dis oui, malgré mes hontes. D’un instant à l’autre, Avant même que je puisse dire oui ou non, L’on me chevaucha sans merci sans dire oui. J’ai menti, j’ai violé comme on a violé… Puisse celui qui est de moi, soit différent de moi.

Elle s’effondre au sol. Épuisée.

LAERTES : Ça y est, me voilà fou, moi aussi. Fou… fou… complètement fou. Où tout cela veut-il en venir? Pourquoi tous ces événements?

LE ROI : Du calme. Du calme. Laertes.

LAERTES : On veut ma mort. On veut ma perte.

LE ROI : criant, ASSEZ! Assez, mon brave Laertes. Il est facile de quitter son esprit, mais soyez attentif à mes paroles. Concentrez-vous sur mes lèvres. Regardez-moi. Laertes. Concentrez-vous, vous dis-je.

Un temps.

Bon, vous voilà, plus calme.

Je connais la cause de ces événements. Nous allons retrouver la quiétude, mon bon Laertes. Ayez confiance. Votre Ophélie sera vengée avec habileté.

Contrôler, calculer et exécuter, mon bon Laertes.

Stéphanie Daviau

Fragment XXI

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