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Poltronius se mouche bruyamment. Il tient un énorme mouchoir dans sa main. Il essuie ses yeux. Damnlet est à sa gauche. Devant eux, dos au public, un comédien qui termine sa scène. On l’entend dire la dernière phrase de son texte de manière très tragique, ému. Damnlet se frotte les yeux subtilement, ça lui pique. Il a les yeux secs. Il ne veut pas que l’on s’en rende compte.
Poltronius : Mais qu’est-ce qui me prend? Excusez-moi mon prince. Je crois que je n’avais pas assez pleuré durant l’année et que mon surplus de larmes accumulées a choisi de se verser à l’instant.
Damnlet : Ah! Sois humble vieil homme, et remercie plutôt ce comédien pour avoir percer ton âme. Grandiose, votre présence…
Poltronius (coupant Damnlet) : Non non, ce n’est pas ça, je vous assure. C’est ma pression lacrymale…
Damnlet (se grattant les yeux plus vigoureusement) : Arrête de nier, et va donc préparer la chambre de ce comédien.
Poltronius vient pour parler. Damnlet lui fait comprendre de se taire (Shhhh!) .Il fait signe au comédien de se rapprocher de lui et éloigne du revers de la main Poltronius. Ses démangeaisons sont de plus en plus fortes.
Damnlet : Demain soir, vous êtes libres?
Comédien : Oui
Damnlet : Bien, si je vous demande de monter la pièce Serpents, qui êtes-vous? demain soir, à la cours, c’est possible?
Comédien : Oui Monsieur. Je la connais. J’y ai déjà joué le rôle du traitre.
Damnlet : Parfait! Et si je vous demandais d’apprendre quelques répliques supplémentaires…? Des phrases de mon cru… (se gratte l’œil et ne peut terminer sa phrase)
Comédien : Aucun problème Monsieur. Faites moi parvenir le texte et j’apprendrai.
Damnlet (toujours en train de se gratter les yeux vigoureusement) : Je vous remercie. Je viendrai vous le porter en main propre avant la représentation. On se voit demain. Et encore bravo pour votre tirade de toute à l’heure.
Damnlet fait signe à Poltronius qu’il peut repartir avec le comédien.
Poltronius (prenant le bras du comédien et sortant avec ce dernier) : Je persiste à dire que c’est au niveau de mes glandes lacrymales. Je veux dire, vous étiez bon, certes… vous m’avez presqu’eu…
Sortie de Poltronius et du comédien. Damnlet est seul. Il fouille dans ses poches de veston (ou dans son sac, ou dans ses poches de pantalon). Très irrité.
Damnlet : J’ai les yeux secs. Les yeux secs. Il me faut mes gouttes. Il me faut mes gouttes! Il me faut mes larmes! J’aurais du demander à ce comédien de pleurer sur mes globes et d’ainsi taire cette démangeaison qui me mange les yeux, qui me mange la raison, qui me mange l’esprit. Et je reste là, à frotter de gauche à droite ma pupille, à déchirer petit à petit le tissu de ma paupière. Merde, je vais en devenir aveugle! (Saisit enfin la bouteille de gouttes pour les yeux. Dévisse le bouchon, le lance au bout de ses bras et verse des gouttes dans ses yeux en se tenant bien droit. Il reprend son soliloque, dans un état de calme euphorique) Serpents… où êtes-vous? Petits, petits… (Rire sombre) Des comédiens, les souris. Les traitres, les reptiles, qui ne pourront retenir leurs dents. Demain soir, le grand festin aura lieu. La vérité sera le sang qui tâchera la scène. Je serai dans le public et j’observerai le sang de mon père écumé à la bouche du grand cobra! Et la vipère à ses côtés qui pleurera, envenimée comme une putain. (Silence . Damnlet hurle! Il a mal aux yeux. Il remet des gouttes. Lance la bouteille à bout de bras, sort de scène.)
Entre Poltronius, avec la bouteille dans la main.
Est-ce que quelqu’un aurait perdu cet objet? (Il lit en se plissant les yeux) «Gouttes… off… ophtal…mo… logique… ophtalmologiques! Pour yeux sensibles » … C’est une plaisanterie?
Entre la Reine et le Roi, et devant eux, en chevaux de carriole, Gil et Ros.
Roi : Oh! Tout doux. (Tire sur la courroie qui est accroché au cou de Gil et Ros) Bonjour Poltronius.
Poltronius : Bonjour à vous mon Roi. Bonjour à vous aussi ma Reine. (La reine bouge la main à peine, à la manière de la reine d’Angleterre) Oh je vois que vous promenez les chevaux?
Reine (Dans un anglais franchouillard) : Of course. Theses horses doivent être bien dressés. Because it is them qui devront accompagner mon fils jusqu’à Wittenberg. I will not accept a failure de leur part. So we pay and train them du mieux que l’on peut.
Poltronius : Une excellente initiative. Tout comme celle qu’à eu votre fils.
Reine (intriguée) : What? Mon fils? Tell me more! Tell me, s’il vous plait. Comment is he?
Poltronius : Bien, Madame. Justement, Il a même ordonné une pièce de théâtre pour demain soir. Une pièce qui sera présentée à la cours.
Reine : Tell me more! Tell me more!
Roi (essayant de suivre l’élan de sa reine) : Yes, Tell us plus, Tell us plus.
Poltronius : Votre fils ma queen … ma reine, faisait une balade en carriole dans les jardins pour se changer les idées, avec Gil et Ros. Comme vous le lui aviez proposé. J’étais dans les parages… je ne faisais pas grand-chose. Alors, j’ai décidé d’aller m’entretenir un peu avec lui. Il semblait mieux, il usait d’humour et s’est amusé à me taquiner un peu. Rien de bien méchant, ne vous inquiétez pas. Notre petite discussion fut interrompue par un comédien qui s’est présenté à la grille. Il quémandait. Votre fils l’a donc fait entrer. Le jeune homme décida alors de nous faire un extrait d’une tragédie sanglante qu’il tira de son répertoire personnel, pour nous divertir. Il était très bon. (Poltronius sort le mouchoir de sa poche et s’essuie le bout du nez.) Oui, beaucoup de talent. Damnlet en profita donc pour l’inviter à jouer demain soir.
Reine : It is a bonne nouvelle. A really bonne nouvelle! Si c’est pour son bonheur, may the play be good! His melancolia , cette maladie très rare, must be considered. And we should do everything to la guérir.
Roi : Yes, la melancolia. (Soupir) Une pièce de théâtre… je ne sais pas si ça peut vraiment aider…mais nous n’avons rien à perdre à essayer… je présume. N’est-ce pas Poltronius? Je veux dire, nous y assisterons si c’est pour que son état s’améliore.
Reine : We’ll be présent, go tell him.
Poltronius : J’en aviserai votre fils ma Queen… euh ma Reine. (Pause)
Reine (léger soupire songeur) : I hope he’ll feel better après…
Poltronius : Si je peux me permettre, ma reine… Pourquoi ne pas lui proposer un entretient en privé dans votre chambre après le spectacle… pour vous en assurer? Vous informer de sa mélancolia. L’état de son infection. Et si vous le désirez, je pourrai assister à cet échange en témoin secret, dissimulé derrière un rideau. S’il s’avérait à avoir un malaise, je pourrai intervenir.
Roi : Intéressant… Nous pourrons donc avoir un œil plus clair sur la situation. (Prend la bouteille que Poltronius tenait toujours dans ses mains). «Pour yeux sensibles» … Étrange.
Poltronius reprend la bouteille des mains du Roi.
Reine : Let’s get ready pour le show then! Allez Ros and Gil! (Prend la courroie des chevaux des mains du roi et fouette un coup.)
Roi (Se voit entrainé trop rapidement par les chevaux et n’a pas le temps de terminer sa phrase. Aurevoir Poltron…
La Reine et le Roi sortent. Poltronius est seul sur scène. Il regarde la bouteille, se mouche un coup avec son trop grand mouchoir, s’essuie le nez, le coin des yeux, et sort de scène d’un pas décidé.
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