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(1982 ; 1996 (traduction))
Par ailleurs, les deux protagonistes, âgés d’une quarantaine d’années, entretiennent tous les deux une certaine déception à l’endroit de leur vie adulte. Dans leurs plus jeunes années, ils espéraient respectivement connaître un succès professionnel ou relationnel qui n’est pas venu. De ce fait, le texte dramatique est traversé par la question : comment croire de nouveau en la vie et en l’avenir suite à d’amers désenchantements?
Enfin, ces personnages, appartenant à une classe sociale défavorisée, ont quelquefois l’impression que la culture « classique » est à des lieues de leur réalité. À cet effet, ils sont incapables de nommer les titres des chansons classiques que fait jouer l’animateur d’une émission radiophonique. Cependant, pendant toute la pièce, Johnny ne cesse de citer Shakespeare. Ces références indiquent à quel point l’œuvre du dramaturge élisabéthain est prégnant dans la société américaine.
Après un premier rendez-vous, Frankie et Johnny, qui se plaisent mutuellement, font l’amour dans l’appartement de Frankie. À ce propos, Johnny, littéralement ébloui par sa collègue, insiste pour la revoir, multipliant les compliments et les rêves quant à leur avenir commun. De son côté, Frankie, mal à l’aise à cause de l’enthousiasme excessif du cuisinier, hésite de plus en plus à le rencontrer de nouveau à l’extérieur du travail. Elle refuse de lui promettre quoi que ce soit et se fâche lorsque Johnny s’emporte en lui disant qu’il souhaite non seulement qu’ils se marient, mais qu’ils aient des enfants. Du début à la fin de la pièce, c’est-à-dire du début à la fin de la nuit du samedi au dimanche, l’homme tenace s’acharne à convaincre celle qu’il aime de l’évidence du sentiment qui les lie. Il va même jusqu’à appeler l’animateur d’un poste de radio pour lui demander de faire jouer pour lui et Frankie la plus belle musique du monde. La présentateur choisit de diffuser le « Clair de Lune » de Debussy, d’où le titre de la pièce. Au fil de la pièce, les personnages découvrent qu’ils ont plusieurs points en commun, ce qui ravit Johnny, mais exaspère Frankie. Par exemple, ils ont tous les deux connu un échec amoureux : l’ex-copain de Frankie, qui la battait, l’a laissée pour fréquenter la meilleure amie de la serveuse tandis que l’ex-femme de Johnny, avec qui il a eu deux enfants, a demandé le divorce pour se remarier avec le meilleur ami du cuisinier. À la fin de l’histoire, Frankie paraît pourtant accepter son attachement pour Johnny et être prête à faire un bout de chemin avec lui.
D’abord, tout comme Betty à la plage de Christopher Durang, le texte de Terrence McNally? respecte les trois unités classiques. L’action, qui se déroule en une nuit et dans un seul lieu – l’appartement de Frankie – se construit entièrement autour de la relation des personnages. De plus, le temps de l’histoire est pratiquement équivalent au temps de la représentation puisque, hormis une coupure entre les actes un et deux, aucune interruption temporelle ne se produit dans la pièce. De ce fait, le lecteur ou le spectateur est face à un huis-clos qui le pousse à se concentrer sur la relation qui s’établit entre les protagonistes.
En outre, contrairement à bien des drames ou des comédies romantiques qui mettent en scène de jeunes personnages, Frankie et Johnny sont dans la quarantaine – la fin de la trentaine, dans le cas de la première. Or, que l’amour naisse entre deux personnes d’âge mûr souligne le fait que ce sentiment n’est pas réservé aux jeunes gens qui n’ont pas encore été froissés ou désillusionnés par le temps. À ce sujet, il est intéressant d’entendre le discours enflammé de Johnny qui, dans la plupart des œuvres d’art, est énoncé par le protagoniste d’un jeune premier. Cependant, l’exaltation du cuisinier peut-elle être taxée de naïveté? Traduit-elle un besoin de se conformer aux préceptes du rêve américain – au cœur duquel se trouvent le mariage et la famille – ou une réelle affection pour Frankie?