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(1969 ; 1992 (traduction))
À ce sujet, la pièce comporte de nombreuses références au film Casablanca de Michael Curtis. Humphrey Bogart, un des principaux acteurs de l’œuvre, correspond, pour Allan, à un modèle quant à l’attitude à adopter avec les femmes. Or, en tentant de singer ses mimiques, ses répliques et ses habitudes, il se couvre de ridicule davantage qu’il n’arrive à séduire qui que ce soit.
De plus, le protagoniste s’imagine vivre plusieurs situations avant que celles-ci ne se présentent à lui. Ainsi, un contraste s’instaure entre deux temporalités dramatiques : celle de la réalité et celle du rêve. Allan navigue constamment entre ces deux niveaux, perdant fréquemment ses moyens lorsqu’il quitte l’univers de ses fantasmes. Woody Allen illustre de cette façon l’incapacité d’accomplir dans la réalité certains actes que nous nous permettons pourtant dans notre imagination.
Enfin, le thème de l’angoisse est traité de façon comique dans la pièce. Allan, personnage extrêmement nerveux, prend une foule de médicaments et consulte un psychanalyste depuis de nombreuses années dans le but de calmer son angoisse. Or, l’exagération dont il fait preuve est susceptible de déclencher des éclats de rire.
Allan Felix est catastrophé parce que sa femme, Nancy, a rompu leur mariage, se sentant trop étouffée par son mari. Ses amis Dick et Linda Christie, mariés depuis plusieurs années, tentent de lui remonter le moral en lui organisant de nombreuses rencontres avec certaines de leurs amies. Comme Dick travaille énormément, c’est surtout Linda qui planifie ces rendez-vous et y accompagne Allan. Après de multiples échecs, le protagoniste constate qu’il est tombé amoureux de Linda, qui est pourtant la femme de son meilleur ami. Il décide malgré tout de lui avouer son amour, ce qui entraîne la jeune femme à faire de même. Les deux tourtereaux, éberlués de la tendresse qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, passent la nuit ensemble alors que Dick est à Cleveland pour son travail. Cependant, Allan choisit ultimement de préserver son amitié avec Dick et s’entend avec Linda pour que celle-ci ne mette pas un terme à son mariage.
Pendant toute la pièce, Allan entretient une relation imaginaire avec Humphrey Bogart qui tente de lui inculquer toutes ses astuces pour impressionner les femmes. Par contre, à la toute fin, le protagoniste a raison de l’acteur américain, constatant qu’il vaut mieux qu’il agisse selon ses propres convictions que selon celles du comédien.
Dans sa pièce, Woody Allen, cinéaste majeur aux États-Unis, entre en dialogue avec une figure mythique du cinéma hollywoodien et plus particulièrement avec le film Casanova dans lequel Bogart interprétait le rôle principal. Or, il dépeint ainsi l’influence que cette vedette – et bien d’autres encore – ont sur ceux et celles qui les idolâtrent. À ce propos, il est intéressant d’assister à la prise de conscience d’Allan à la fin de la pièce ainsi qu’à l’admiration qu’elle suscite chez Humphrey Bogart. En choisissant d’être fidèle à lui-même plutôt que de respecter les conseils de son idole, le protagoniste se mérite effectivement des félicitations de la part de celui-ci.
De plus, certains procédés scéniques s’approchent d’une esthétique davantage cinématographique que théâtrale. Par exemple, à plusieurs reprises, le personnage de Bogart apparaît sur scène en traversant une affiche qui le représente dans l’appartement d’Allan. Ces entrées suggèrent que son portrait se matérialise pour s’adresser au protagoniste. Les changements d’éclairage qui indiquent si les personnages sont dans un espace-temps réel ou rêvé font aussi penser à la technique cinématographique qui veut que la coloration de l’écran se modifie pour signifier un changement d’univers temporel. Or, il n’est pas surprenant de relever de telles méthodes dans l’œuvre d’un dramaturge qui a été cinéaste pendant la majeure partie de sa carrière.
Finalement, il est pertinent de noter que, lors de la création d’Une aspirine pour deux, c’est Woody Allen lui-même qui incarnait le rôle d’Allan Felix.